Alternance 2020, avenir de Gbagbo, Nationalité... / Franklin Nyamsi : « Ce que Soro nous a dit à propos de 2020 » - « Ceux qui ont la légitimité démocratique, ont peur du changement (à propos des réformes au sujet de la nationalité) »


Selon Pr Franklin Nyamsi, il est faux de dire que Laurent Gbagbo avait rompu avec la France (Photo d'archives)
  • Source: Soir Info
  • Date: jeu. 18 juin 2015
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Quelque temps après un colloque que ses pairs et lui ont organisé à Abidjan fin avril 2015, nous avons voulu aller plus loin avec le Professeur Franklin Nyamsi. Dans cette interview que nous a accordée ce professeur agrégé de philosophie, doublé de conseiller de Guillaume Soro, président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire, il revisite des thématiques abordées lors du colloque. Nationalité, foncier, les années Gbagbo, l'alternance en 2020, tout y passe. Interview- vérité

Vous avez organisé récemment un colloque qui a jeté un regard critique sur la Côte d'Ivoire de l'après 11 avril 2011. Que peut-on en retenir ?

La date du 11 avril faisait l'objet de récupération politicienne. Il y avait globalement deux camps : ceux qui voyaient dans le 11 avril 2011, l'humiliation de Laurent Gbagbo par la France et le régime naissant du président Ouattara ; le triomphe par les armes de ceux qui auraient perdu dans les urnes. C'était le camp de la refondation et de ses propagandistes. En face, il y avait l'euphorie des Houphouétistes. De retour au pouvoir après une alliance remarquable, fondée en 2005 à Paris par les présidents Bédié et Ouattara, la majorité au pouvoir s'est mise à croire que nous étions dans le meilleur des mondes, parce que l'houphouétisme est de retour au pouvoir.

 

Le colloque a-t-il consisté à départager ces deux blocs ?

Nous avons, au cours du colloque, essayé de montrer que ces deux attitudes nous éloignaient de la vraie symbolique du 11 avril 2011. Le 11 avril, ce n'est pas la date de l'humiliation de la Côte d'Ivoire par la France parce qu'aucun pouvoir ivoirien, depuis le président Félix Houphouët Boigny, n'a été, en réalité, incompatible avec les intérêts français ; il y a une continuité dans la politique française de la Côte d'Ivoire et dans la politique ivoirienne de la France. De Houphouët Boigny à Laurent Gbagbo en passant par Henri Konan Bédié et Robert Guéi, y compris Alassane Ouattara, aucun d'eux n'a changé les fondamentaux des relations ivoiro-africaines mises en place par la France depuis les années 60.

 

Est-ce à dire que,  pour vous, le régime Gbagbo a composé avec la Françafrique, contrairement à ce qu'il prétendait ?

Voilà encore une mystification du régime Gbagbo. Quand Gbagbo prend le pouvoir en 2000, c'est avec l'appui de la France, dont le gouvernement d'alors était socialiste. Membre de l'Internationale socialiste, et donc en amitié avec l'élite socialiste française au pouvoir ; à ce titre, il bénéficie de la reconnaissance immédiate de la France. Ce qui est déterminant sur le plan de la diplomatie internationale. Par ailleurs, Gbagbo lui-même dit que lorsqu'en 2002, son pouvoir fait face à la rébellion dirigée par Guillaume Soro, la France va l'aider logistiquement, diplomatiquement et même financièrement. D'autre part, il faut souligner que le programme à partir duquel le Fpi va gouverner en 2000 a été rédigé en 1988, et que c'est une copie conforme de la doctrine de la social-démocratie française. Enfin, il faut regarder l'évolution des intérêts économiques de la France sous Laurent Gbagbo : le pouvoir Gbagbo n'est jamais sorti du système du Cfa. Certes, on nous a fait miroiter, en pleine crise post-électorale, l'idée d'une monnaie ivoirienne de la résistance ; mais on a vite compris que ceux qui en parlaient n'y avaient jamais cru. M. Mamadou Koulibaly, qui était président de l'Assemblée nationale pendant dix ans, n'a jamais voté une seule loi appelant la Côte d'Ivoire à sortir de la zone Cfa.

 

Les partisans de Gbagbo le présentent pourtant comme une victime de sa politique de rupture d'avec les vieilles combines des autorités françaises en Afrique.

Je vous disais tantôt que c'était pure mystification.  Car, la position géostratégique de la France comme puissance militaire tutélaire dans la sous-région de l'Afrique francophone avec le 43e BIMA( Bataillon d'infanterie de marine) n'a jamais été remise en cause tout au long du règne de Gbagbo. Ce n'est qu'à la dernière minute qu'il en a contesté la légitimité.   Sinon, pendant dix ans, Laurent Gbagbo n'a pris officiellement aucun acte pour demander aux forces françaises de quitter la Côte d'Ivoire. Il en a eu besoin pour se protéger chaque fois que c'était nécessaire. Je rappelle qu'en 2002, son premier réflexe a été de demander à la France de l'aider à écraser la rébellion. Donc le recours à la France est systématique sous Laurent Gbagbo. La controverse au sujet de la France n'était, en réalité, qu'un dépit amoureux : quand la France ne lui donne pas ce qu'il veut, alors il se présente comme quelqu'un qui est contre la France ; mais quand elle lui concède ce qu'il réclame, alors ça marche.

 

L'on a également prétendu que le régime Gbagbo a été attaqué en 2002 parce qu'il voulait remettre en cause les intérêts français en Côte d'Ivoire. Qu'en savez-vous ?

A la vérité, Laurent Gbagbo n'a jamais vraiment rompu avec la politique africaine de la France. J'en veux pour preuve,  la façon dont ont été gérés les intérêts des multinationales françaises sous son règne. Bolloré a été fait commandeur du mérite national ivoirien ; il a eu accès au contrôle du port et de l'aéroport. Les grands groupes pétroliers français détenaient toujours des parts dans l'économie ivoirienne ; les banques françaises avaient pignon sur rue en Côte d'Ivoire. Gbagbo n'a donc pas réduit l'influence économique française en Côte d'Ivoire durant son règne. La vérité, c'est qu'il a cherché en vain  à utiliser l'influence économique et géostratégique française contre ses adversaires politiques. Voilà pourquoi j'invite les uns et les autres à ne pas se fier aux seuls discours de la refondation mais plutôt à la juger à ses actes. A travers ses actes, le régime Gbagbo a composé avec la France jusqu'au jour où la France ne lui a plus fait confiance. Sinon, Gbagbo, lui, était prêt à lui donner davantage pour se maintenir au pouvoir.

 

On a eu, par moments, l'impression que vous et vos pairs n'avez fait que le procès de l'ancien régime Gbagbo. Est-ce à dire que vous n'êtes pas d'accord avec les refondateurs quand ils disent s'inscrire dans la droite ligne des idéaux panafricanistes défendus par Kwame Nkrumah, Patrice Lumuba et autres ?

Oui, vous avez parfaitement raison de le souligner. C'est simplement parce que ce régime ne s'inscrivait nullement dans les pas des illustres panafricanistes africains que vous citez. On ne peut pas produire la xénophobie comme idéologie de gouvernement, et se poser en héritiers des panafricanistes comme Lumuba, Kwame Nkrumah ; c'est contradictoire ! C'est faux de prêter à ce régime une filiation qui n'a jamais été la sienne. C'est un régime qui s'est installé sur le disque de l'idéologie ivoiritaire, inventé au milieu des années 90, par des intellectuels du Pdci-Rda sous le règne du président Henri Konan Bédié. C'est sur ce disque que le général Robert Guéi, et ensuite, le président Laurent Gbagbo, sont venus broder. Une fois que vous proclamez que la nation appartient exclusivement à certains individus, vous sortez de l'idéologie panafricaine, car le panafricanisme, c'est justement le dépassement du chauvinisme hérité des frontières coloniales. Et le nationalisme chauviniste n'a rien à voir avec le panafricanisme.

 

Pour vous donc, le régime Gbagbo n'avait rien de panafricaniste ?

Houphouët Boigny a été le fondateur du panafricanisme concret. Pour construire le poumon économique et agricole qu'était la Côte d'Ivoire, il a mené une politique hardie d'importation de populations immigrées, qui était déjà engagée par le colon. En effet,  quand il a fallu lancer les premières grandes plantations de café et cacao, le colon français est allé chercher d'autres populations au-delà de ce qui est aujourd'hui considéré comme le territoire ivoirien. Le président Houphouët Boigny n'y a pas mis fin. Il s'est appuyé sur ses frères de la sous-région pour développer la Côte d'Ivoire parce qu'il savait qu'en retour, la Côte d'Ivoire développerait la sous-région. Il est allé plus loin en proposant, en 1966, devant l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire, le principe de la double nationalité. La sous-région ouest-africaine, et par extension l'Afrique noire, aurait dû adopter ce principe d'Houphouët Boigny : donner aux nationaux venant de pays voisins, la possibilité d'être des concitoyens, et d'emblée, briser les reins au nationalisme chauviniste. Mais cette idée lumineuse d'Houphouët Boigny sera refusée par les députés ivoiriens. Autre acte majeur posé par Houphouët Boigny : il a autorisé, jusque dans les années 80, les étrangers d'origine ouest-africaine à prendre part aux élections en Côte d'Ivoire. Savez-vous qui va se dresser contre cela en 1990 ? Laurent Gbagbo. C'est Gbagbo et son parti, le Fpi, qui pointent du doigt les étrangers comme étant un obstacle à leur accession au pouvoir en tant que vrai ivoirien. Et, à la fin des années 90, les Ouest-africains résidant en Côte d'Ivoire sont exclus d'un droit qui leur avait été reconnu pendant pratiquement trente ans sous le président Houphouët Boigny.

 

Pour vous et les animateurs du colloque, le 11 avril marque donc un nouveau départ. Qu'est-ce qui a changé depuis lors en Côte d'Ivoire ?

Le colloque a montré qu'une nouvelle politique de développement a commencé : l'économie ivoirienne est passée de moins 4 % de croissance à près de 10 % ; la diplomatie ivoirienne est devenue inclusive, alors que pendant longtemps, elle avait été une diplomatie exclusive. Le professeur El Marouf a parlé de diplomatie de l'orphelin, par opposition à une diplomatie de la convivialité, du partage, en s'inspirant de l'évolution des rapports entre la Côte d'Ivoire et l'Afrique du Nord. Sur le plan politique, le pays est incontestablement plus apaisé que pendant les 10 années du régime Gbagbo ; les indices de sécurité de la Côte d'Ivoire sont comparables à ceux d'État qui n'ont pas connu de trouble. Enfin, sur le plan social, la Côte d'Ivoire s'est apaisée bien que tous s'accordent à dire qu'une quantité très importante des citoyens n'a pas encore bénéficié des fruits de la croissance, et que le gouvernement se doit de mener une politique sociale plus hardie. Ce sont les conclusions de la Banque Mondiale et du Fonds monétaire international. Donc, si je devais me résumer, ce colloque a montré que la société ivoirienne d'avant le 11 avril 2011 était une société close du fait d'une idéologie centrale qui a montré ses limites : celle de l'ivoirité.

 

Encore l'ivoirité. N'est-ce pas trop facile de mettre tout sur le dos de l'ivoirité ?

Nous avons montré que la crise militaro-politique qui a secoué la Côte d'Ivoire ces dernières décennies, ne saurait s'analyser sans examiner l'impact de l'avènement de l'idéologie de l'ivoirité. Qu'est-ce donc l'ivoirité ? C'est la réponse que la classe politique ivoirienne, au milieu des années 90, a donnée à un problème socio-économique fondamental : les ressources de l'État de Côte d'Ivoire ne permettaient plus de satisfaire les besoins des populations ivoiriennes qui ont triplé en trente ans. Une partie des intellectuels ivoiriens a alors  élaboré le concept de l'ivoirité pour réserver les ressources de l'État de Côte d'Ivoire à une partie des populations de ce pays, désignées comme les vrais ivoiriens. C'était une fausse solution, car l'exclusion n'a pas été acceptée par les exclus. Pour faire face aux mêmes difficultés socio-économiques, l'autre solution a été d'essayer de réformer l'État, de diversifier l'économie ivoirienne pour que de nouvelles ressources permettent de satisfaire les besoins qui étaient exorbitants. C'est cette solution qui a été esquissée, au début des années 90 par Alassane Ouattara, alors Premier ministre d'Houphouët Boigny. Il avait entrepris de réformer l'État de Côte d'Ivoire du point de vue de sa gestion, de son organisation. Il préconisait de donner au privé une plus grande marge d'initiative pour créer des emplois afin de faire face au marasme de l'économie internationale basée sur l'exploitation des matières premières, et qui a été héritée de la colonisation. C'est ce travail que les Houphouétistes ont repris, à savoir la réforme de l'État de Côte d'ivoire, de la société ivoirienne, pour faire face aux défis nouveaux. Ce n'est pas un travail facile, c'est une oeuvre de longue haleine.

 

Une communication, au cours du colloque, a appelé à repenser la nationalité. Son auteur a même soutenu que le régime actuel jette un voile pudique sur la question. Partagez-vous cette lecture du Dr Mamadou Djibo ?

Absolument. Dr Mamadou Djibo a étudié les différents régimes relatifs à la question de la nationalité en Afrique. Il s'est rendu compte que le régime de la nationalité, actuellement en vigueur en Côte d'Ivoire, est conflictuel parce que la loi fondamentale de Côte d'Ivoire a été adoptée dans des conditions, disons, paradoxales. D'abord, parce qu'elle a cristallisé la reconnaissance de l'ivoirité comme étant le principe organisateur de la cité : dès lors que le président de la République doit être né de père et de mère, eux-mêmes ivoiriens d'origine, ce qui est nié là, c'est le métissage réel et sociologique de la Côte d'Ivoire. En 1998, une loi sur le foncier rural réservait déjà toutes les terres à des Ivoiriens autochtones, c'est-à-dire à ceux qu'on a appelés des Ivoiriens de souche multiséculaire. A la même époque, sous le régime du président Henri Konan Bédié, une disposition légale, votée par les députés d'alors, disait que les fonctions de député étaient réservées à des Ivoiriens de père et de mère, eux-mêmes de souche ivoirienne ; un cadenassage de la citoyenneté ivoirienne par le mythe de la pureté des origines. La Côte d'Ivoire avait à peine cent ans quand, déjà, des gens se prétendaient ivoiriens de souche multiséculaire. Comment pouvez-vous être de souche multiséculaire dans un pays qui n'a pas cent ans ?

 

Pour autant, peut-on dire que le régime Ouattara est gêné d'apporter des solutions courageuses à ce problème de la nationalité ?

Le colloque a, en tout cas, noté que la constitution actuelle porte encore les traces de l'idéologie ivoiritaire, qui a fait tant de mal à ce pays. C'est le constat qu'a fait Dr Mamadou Djibo, mais il est allé plus loin, en faisant remarquer que le camp houphouétiste a comme honte de mener les réformes hardies pour lesquelles il s'est battu. De 1999 à 2011, tous les conflits que la Côte d'Ivoire a connus sont liés au fait que l'idéologie de l'ivoirité faisait face à la revendication des exclus de cette id (...)

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