CPI / Procès Gbagbo : Me Altit ''déshabille'' la juge unique - La Chambre d'appel saisie

  • Source: L'Inter
  • Date: sam. 11 janv. 2014
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Dans une requête datée du 06 janvier 2014, Me Emmanuel Altit, l'avocat principal de Laurent Gbagbo, demande l'autorisation d'interjeter appel de la décision de la Chambre préliminaire I du 27 décembre 2013, refusant la suspension des délais impartis, pendant les vacances judiciaires. Ci-dessous de larges extraits de la requête, dans laquelle le Conseil de l'ex-président ivoirien n'est pas du tout tendre avec la juge unique Silvia Fernandèz de Gurmendi.

Rappel de la procédure

Le 20 décembre 2013, la Défense déposait une requête urgente afin que soient suspendus les délais durant les vacances judiciaires. Dans cette requête, la Défense demandait à ce que soit appliquée aux membres de l'équipe de défense la législation du travail dont relèvent les autres travailleurs intervenant à la Cour pénale internationale, notamment le régime commun des Nations Unies ; elle demandait à ce que la Chambre préliminaire constate que devaient s'appliquer les normes minimales correspondant aux standards internationaux ; elle demandait par conséquent que les Juges suspendent le calendrier le temps des vacances judiciaires, notamment du 13 décembre 2013 au 6 janvier 2014, période des vacances judiciaires de l'hiver 2013/2014. Le 27 décembre 2013, la Juge Unique rejetait la requête.

 

A titre liminaire : pour des raisons de bonne administration de la justice, la présente requête est déposée devant la Chambre Préliminaire I siégeant collégialement et non devant le seul Juge Unique.

 

Droit applicable.

L'Article 39 2) b) iii) du Statut prévoit que « les fonctions de la Chambre préliminaire sont exercées soit par trois juges de la Section préliminaire, soit par un seul juge de cette Section conformément au présent Statut et au Règlement de procédure et de preuve ».

La Règle 7 du Règlement de Procédure et de Preuve (RPP) prévoit que, même dans les cas où un juge Unique a été désigné : « La Chambre préliminaire peut décider d'office ou à la demande d'une partie d'assumer elle-même en séance plénière les fonctions du juge unique ». La collégialité est chargée de trancher les questions les plus importantes. L'existence d'un Juge Unique répond à un souci d'efficacité et de rationalisation des moyens de la Chambre : le Juge Unique doit gérer le quotidien de la procédure et décider lorsque des questions de principe ne se posent pas. Il intervient lorsqu'il n'est nul besoin de mobiliser trois Juges pour permettre l'avancée pratique de l'affaire. En d'autres termes, la Juge Unique agit comme Juge de la mise en l'état alors que la Chambre préliminaire siégeant collégialement est appelée à trancher les questions importantes. C'est ce que disent la lettre et l'esprit du Statut.

Or, il s'agit ici de décider une question de principe, touchant aux droits des membres de l'équipe de défense, dont la violation pourrait porter atteinte à la capacité du Président Gbagbo à se défendre. C'est donc une question qui touche au cœur du procès équitable et qui doit donc être tranchée par la Chambre Préliminaire agissant collégialement.

 

Droit Applicable à la demande d'autorisation de faire appel.

L'article 82-1-d dispose que « l'une ou l'autre partie peut faire appel, conformément au Règlement de procédure et de preuve, de l'une des décisions ci-après : (...) Décision soulevant une question de nature à affecter de manière appréciable le déroulement équitable et rapide de la procédure ou l'issue du procès, et dont le règlement immédiat par la Chambre d'appel pourrait, de l'avis de la Chambre préliminaire ou de la Chambre de première instance, faire sensiblement progresser la procédure ».

(...)

Une décision rendue en application de l'article 82-1-d du Statut n'est pas une décision de politique générale mais une décision juridique, qui doit être prise sur la base d'un examen impartial et objectif visant à déterminer si les questions soulevées remplissent les conditions prévues dans le Statut. Par conséquent, et compte tenu du fait que la chambre concernée doit traiter une contestation de ses propres produits intellectuels, il est essentiel qu'elle procède, et que cela soit considéré comme tel, à un examen impartial et objectif visant à déterminer si les questions sur la base desquelles les parties se proposent d'interjeter appel remplissent les critères exposés dans le Statut. En particulier, il semble que pour décider si une « question » au sens de l'article 82-1-d du Statut a été soulevée, la Chambre ait à déterminer de façon plutôt simple et directe si la question formulée par la partie découle de ce qui est effectivement dit dans la décision attaquée».

Par ailleurs, quant à la précision de la demande, la Juge Présidente a affirmé que « la demande de la Défense ne devrait pas être rejetée au motif qu'elle n'identifierait pas correctement une question susceptible d'appel, mais qu'elle devrait être analysée plus avant compte tenu de la substance des arguments qui y figurent.»

Elle précise enfin que lorsque « l'équité de la procédure est au cœur de la question que la Défense se propose de soulever en appel, il me semble aller de soi que cette question affecte le déroulement équitable de la procédure.»

Ainsi, l'appel doit-il être autorisé quand la question de l'équité de la procédure se pose de manière explicite ou implicite à la suite d'une décision de la Chambre préliminaire ou du Juge Unique. C'est – d'après l'opinion dissidente – le devoir des Juges d'identifier de telles questions dans une demande d'autorisation de faire appel, quitte à les reformuler, afin de les soumettre à la Chambre d'Appel.

C'est en se fondant sur sa compréhension de l'état de la jurisprudence que la défense demande par la présente requête l'autorisation de faire appel de la décision du 27 décembre 2013.

Dans sa requête, la défense demandait aux Juges de bien vouloir suspendre, le temps des vacances judiciaires, les délais qui étaient de leur ressort, notamment ceux portant sur le calendrier concernant la suite de la procédure, afin de ne pas aggraver la situation d'inégalité entre Défense et Accusation et que le principe d'équité devant gouverner la procédure soit respecté. La Juge Unique a refusé de répondre à cette demande, se contentant d'indiquer que certains délais procéduraux ne pouvaient être modifiés par les Juges.

La Défense demandait aussi aux Juges de faire en sorte que les principes fondant le droit du travail applicable à la CPI soient respectés aussi bien pour les membres de l'équipe du Bureau du Procureur que pour les membres de l'équipe de défense afin qu'il y ait égalité de traitement et de conditions de travail entre les différents intervenants.

La Juge Unique a refusé de répondre à cette question, se contentant pour l'éluder de faire référence à la notion de droit à un procès sans retard excessif, sans examiner les atteintes à l'équité de la procédure et aux droits de la défense qu'un tel refus entraîne.

La Défense considère donc que la décision de la Juge Unique pose trois questions qui nécessitent que la Chambre d'Appel se prononce :

1) La Juge Unique peut-elle prendre une décision aussi importante sans répondre aux arguments de la défense concernant le respect du droit du travail ?

2) La Juge Unique peut-elle prendre une décision aussi importante en ne se fondant sur aucune base légale ?

3) La Juge Unique peut-elle utiliser la notion de droit à être jugé sans retard excessif dont dispose tout accusé pour empêcher cet accusé de faire valoir ses droits ?

Ces questions satisfont aux critères que la jurisprudence a déterminés pour permettre que l'appel soit interjeté. En effet, elles découlent bien de la décision attaquée (1), sont de nature à affecter l'équité de la procédure ou l'issue du procès (2) et mérite un règlement immédiat par la Chambre d'Appel (3).

 

Des questions susceptibles d'appel

Première question : La Juge Unique peut-elle prendre une décision aussi importantesans répondre aux arguments de la défense concernant le respect du droit du travail ?

Dans sa requête, la Défense estimait que les principes fondamentaux en matière de droit international du travail, notamment le droit au repos, le respect de conditions de travail justes et le droit à une vie privée et familiale, appliqués aux employés de la CPI devaient s'appliquer également aux équipes de défense à la CPI.

La Défense soutenait que le respect de ces principes et la mise en œuvre des droits qu'ils impliquent entraînent nécessairement la suspension des délais déterminés par les Juges concernant la suite de la procédure. En effet, la disproportion des moyens à la disposition de l'équipe de défense d'une part et du Bureau du Procureur d'autre part a des effets immédiats sur les conditions de travail. Alors que le Bureau du Procureur peut organiser un roulement de son personnel de manière à ce que chacun puisse bénéficier de périodes de repos sans que le travail général en pâtisse, la Défense est dans une situation différente : composée d'un noyau de quatre personnes, la Défense ne peut organiser des roulements ; ses membres doivent être mobilisés de manière continue. De ce fait, si aucune suspension de la procédure n'était décidée, les membres de l'équipe de défense se trouveraient dans l'obligation de travailler de

manière permanente et continue, ce qui affecterait nécessairement leur capacité de travail et constituerait une atteinte aux droits fondamentaux pourtant reconnus internationalement.

La Juge n'a pas pris le temps de répondre à la question de la Défense et, ce faisant, fait perdurer une violation flagrante du droit du travail internationalement reconnu au détriment des membres de l'équipe de défense, puisque les délais n'ont jamais été suspendus pendant les vacances judiciaires depuis les débuts de la procédure.

La Juge Unique n'analyse, ni ne discute à aucun moment dans sa décision les arguments relevant du droit du travail présentés par la Défense et sort ainsi de sa fonction judiciaire qui exige qu'elle réponde à l'argumentaire présenté par la partie qui dépose une requête. Un tel procédé ne saurait être admis alors que la Défense avait très clairement fondé sa requête sur une base légale claire.

Un tel procédé porte d'autant plus préjudice à la Défense que la décision de la Juge Unique ne repose sur aucune base légale.

 

Deuxième question : La Juge Unique peut-elle prendre une décision aussi importanteen ne se fondant sur aucune base légale ?

La Juge Unique n'a retenu pour prendre sa décision aucune base légale, se contentant d'une discussion sur les éventuelles motivations ayant présidé au dépôt de la requête. Elle a ainsi déplacé le débat du terrain qu'avait choisi la Défense (respect des droits des membres de l'équipe de défense et équité de la procédure) à un terrain hypothétique, peut-être pour ne pas avoir à répondre aux arguments présentés.

(…)

La Juge Unique, en agissant de la sorte, c'est-à-dire en estimant devoir essayer de deviner (second guess) ce qui aurait pu motiver le dépôt de la requête de la Défense, sort de son rôle et entre dans le domaine de l'hypothétique, c'est-à-dire de l'arbitraire. Il lui appartenait de ne s'exprimer que sur la demande, laquelle reposait sur une base légale claire, la violation du droit du travail. En aucun cas, la Juge Unique n'avait à exprimer un quelconque avis sur ce qu'elle imaginait de ce que la Défense pouvait penser du calendrier qu'elle venait d'arrêter quelques jours auparavant.

Il apparaît clairement que la Juge Unique répond dans sa décision à ce qu'elle imagine être la « dissatisfaction » de la Défense avec le calendrier. Or, ce n'était pas du tout le sens de la requête déposée par la Défense. Il suffit de lire la requête pour saisir ce qui, d'après la Défense, en constituait et les bases et les enjeux.

La Juge Unique a appliqué un procédé proche dans son examen de la demande formulée par la Défense de suspension générale des délais arrêtés par les Juges pendant les vacances judiciaires : elle n'y a vu qu'une demande sur la possibilité de proroger les délais en matière de demande d'autorisation de faire appel, ce qui n'était pas l'objet principal de la requête de la Défense. La requête portait sur la suspension des délais arrêtés par les Juges dans leur calendrier gouvernant la suite de la procédure ; de tels délais n'étant déterminés ni par le Statut, ni par le Règlement, la Juge Unique ne pouvait répondre, comme elle l'a fait, qu'elle n'aurait pas le pouvoir de suspendre les délais pendant les vacances judiciaires.

Enfin, la Juge Unique s'est fondée de manière principale et de façon erronée sur la notion du droit à être jugé sans retard excessif, ce qui fait l'objet de la troisième question.

 

Troisième question : La Juge Unique peut-elle utiliser la notion de droit à être jugésans retard excessif dont dispose tout accusé pour empêcher cet accusé de faire valoirses droits ?

Dans la décision attaquée, (...)la Juge Unique utilise à l'encontre de l'accusé une notion inventée pour faire échec aux détentions arbitraires et permettre aux accusés de faire valoir leurs droits en temps utile. Or cette notion ne peut être invoquée que par un accusé qui considère que ses droits auraient été violés du fait de l'immobilisme des Juges. C'est donc à l'accusé seul de déterminer s'il veut utiliser cette (...)

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