Politique

Guillaume Soro : « Il faut qu'Alassane Ouattara recule et que le droit prévale »

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ENTRETIEN. Écarté, avec d'autres candidats, du scrutin du 31 octobre prochain, l'ex-président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire dénonce une « fraude à la Constitution ».

Il a pris parti pour Alassane Ouattara pendant la crise postélectorale de 2010. Guillaume Soro, ex-Premier ministre de Laurent Gbagbo, devenu chef des rebelles, est celui qui a fait basculer militairement la victoire au profit de l'actuel président alors que Laurent Gbagbo lui contestait la victoire dans les urnes. Écarté, avec trente-neuf autres candidats, du scrutin présidentiel du 31 octobre prochain sur décision de la Cour constitutionnelle, Guillaume Soro n'a pas dit son dernier mot. Avec ses partisans du mouvement citoyen Générations et Peuples solidaires, il est fortement engagé dans la dynamique d'opposition au processus électoral en cours que l'ex-président Henri Konan Bédié, appelant à la « désobéissance civile », a qualifié de « forfaiture ». Sur la Côte d'Ivoire et son avenir, il s'est confié au Point Afrique.

 

Le Point Afrique : Comment voyez-vous la Côte d'Ivoire de l'année à venir ?

Guillaume Kigbafori Soro : Je ne peux m'empêcher de nourrir les pires craintes quand je vois l'obstination avec laquelle le président Ouattara conduit notre pays vers une nouvelle crise électorale, dix ans après celle qui lui a permis d'arriver au pouvoir. Face aux appels à la raison émanant de la France, des États-Unis, de l'Union européenne, des organisations internationales de défense des droits de l'homme, de l'ONU, de certains de ses pairs de la Cedeao, il choisit de faire la sourde oreille et s'inscrit dans une forme de défi lancé au monde entier en prétendant n'avoir de leçons à recevoir de personne. Oui, j'ai peur pour la Côte d'Ivoire.

Nous avons à mener un bien âpre combat de civilisation, pour sauver l'espérance démocratique en suspens et consolider l'État de droit en Côte d'Ivoire. C'est précisément en raison de ce cap inflexible que je vois la Côte d'Ivoire de retour dans le concert des nations africaines en progrès, à l'horizon 2021. Pour ce faire, nous devrons avoir réussi à obtenir le triomphe du consensus national autour de l'organisation d'élections justes, transparentes, inclusives, véritablement démocratiques.

Votre candidature à la présidentielle a été refusée par le Conseil constitutionnel. La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples intime à la Côte d'Ivoire de vous rétablir dans vos droits. Pourquoi la décision de la CADHP doit-elle prévaloir sur celle du Conseil constitutionnel d'après vous ?

En vertu d'un principe élémentaire de la hiérarchie des normes juridiques dont le corollaire est celui de la hiérarchie des juridictions. La Côte d'Ivoire, État souverain, a librement adhéré à l'Union africaine et à la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, y compris en signant son protocole. Or, comme le disait si bien Jean-Jacques Rousseau, « l'obéissance aux lois que l'on s'est prescrites est liberté ».

C'est l'État de Côte d'Ivoire qui a souverainement décidé que les décisions juridictionnelles de la CADHP ont primauté sur celles de toutes les juridictions ivoiriennes, y compris le Conseil constitutionnel. Mieux, l'argutie du régime Ouattara qui consiste à dire que la Côte d'Ivoire a dénoncé le protocole de la CADHP ne tient d'autant pas debout que le gouvernement ivoirien sait bien qu'en vertu des textes auxquels il est lié, sa dénonciation du 28 avril 2020 ne prendra effet qu'à compter du 28 avril 2021. Et de plus, la dénonciation ne peut concerner des affaires déjà en cours de jugement à la CADHP. Depuis le 22 avril 2020, la haute juridiction africaine a requis la libération immédiate des députés de notre mouvement, de mes frères et camarades pris en otages par Ouattara.

Par ailleurs, Alassane Ouattara lui-même est le fruit des décisions des organisations supranationales. Rappelez-vous : la Cour constitutionnelle de l'époque dirigée par M. Paul Yao N'Dré avait déclaré Laurent Gbagbo vainqueur de la présidentielle de 2010. En se fondant sur un communiqué de l'Union africaine reconnaissant la victoire d'Alassane Ouattara, la Cour constitutionnelle avait modifié sa première décision et attribué la victoire à Alassane Ouattara. Dans le cas qui me concerne, il ne s'agit pas d'un simple communiqué, mais de deux décisions de justice rendues en ma faveur.

Sous Ouattara, la Côte d'Ivoire a été transformée en État voyou, marginal et arbitraire. Une honte et un affront que le peuple de Côte d'Ivoire doit courageusement laver. Nous n'accepterons pas d'être la risée des peuples libres du monde ! Le droit doit être la force des Ivoiriens !

Les choses se passent comme si le terrain était rendu propice à un conflit des organes en charge des questions électorales, la Cour constitutionnelle, d'un côté, la Commission électorale indépendante, de l'autre. Un rappel de celui de la crise postélectorale de 2010 n'est pas anodin. Quoi s'occupe de quoi ? Et qui a primauté sur l'autre ?

Il n'y a absolument aucun conflit entre ces deux organes, tous étant dirigés par des hommes liges de Ouattara. La Commission électorale indépendante est déséquilibrée au profit de Ouattara. Voyez vous-même : 85 % des membres de l'organe central sont membres du RHDP. Même les membres de l'opposition censés y appartenir ont été choisis par les soins de Ouattara ! Sur le terrain, sur les 549 commissions décentralisées censées surveiller la régularité du scrutin, le parti de Ouattara a fait main basse sur 529 postes ! La CADHP, sur saisine de la société civile, a rendu une décision ordonnant à l'État de procéder au rééquilibrage de cette CEI pour la rendre véritablement indépendante. Alassane Ouattara n'en a cure. candidature-d-alassane-ouattara-14-08-2020-2387724_3826.php">Il marche sur le droit international comme il marche sur la vie et les libertés des Ivoiriens. Et cela est intolérable.

Comment voulez-vous qu'un processus électoral fiable se mette en place dans une telle asymétrie institutionnelle et dans une telle ambiance mortifère ? Nous n'accepterons la tenue d'aucune élection avec cette Commission électorale et ce Conseil constitutionnel partisans. Cela est hors de question, et nous formons un bloc populaire et majoritaire de plus en plus compact pour faire échec à cette mascarade barbare.

Une vue de l'Assemblée nationale ivoirienne lors d'une session en février 2019. Sur saisine de Guillaume Soro en tant que président de l’Assemblée nationale, "la Cour constitutionnelle avait rendu en 2018 une décision indiquant clairement que l’adoption d’une nouvelle Constitution n’efface pas totalement les dispositions juridiques pertinentes qui préexistaient, au nom du principe de la continuité législative".  

Venons-en à la Constitution proprement dite. Qu'est-ce qui fait que, malgré tous les professionnels du droit que nous avons dans nos pays, dont des constitutionnalistes, on aboutit à des textes sujets à large interprétation, donc potentiellement générateurs de crise ?

La réalité est que, prenant le cas spécifique de la Côte d'Ivoire, il n'y a aucune forme d'interprétation possible. monde/cote-d-ivoire-oui-a-93-42-a-la-nouvelle-constitution-02-11-2016-2080010_24.php">La Constitution a été rédigée principalement pour sauvegarder l'esprit républicain, laïque et social de notre pays. Elle réaffirme, et ce, depuis 2000, le principe intangible de la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels. Tous les experts, membres éminents de la communauté des juristes nationaux, y compris le propre conseiller juridique d'Alassane Ouattara ainsi que son ministre de la Justice, ont dit publiquement, à plusieurs reprises, qu'une interprétation de la Constitution dans le sens d'un troisième mandat de M. Ouattara est absolument impossible. Mieux, le Conseil constitutionnel, sur ma saisine en tant que président de l'Assemblée nationale, avait rendu en 2018 une décision indiquant clairement que l'adoption d'une nouvelle Constitution n'efface pas totalement les dispositions juridiques pertinentes qui préexistaient, au nom du principe de la continuité législative. Autrement dit, la nouvelle Constitution ne remet pas en cause les acquis démocratiques de la précédente. M. Ouattara est le seul qui pense qu'il lui est possible d'effectuer un troisième mandat au motif qu'étant à l'origine de cette nouvelle Constitution, il est le seul qui ait l'autorité nécessaire pour l'interpréter.

Il n'y a pas de troisième mandat présidentiel en Côte d'Ivoire. Il existe encore moins un prétendu premier mandat de la IIIe République, car si c'était la IIIe République, Ouattara aurait dû démissionner en novembre 2016 afin d'organiser de nouvelles élections présidentielles anticipées. On aurait alors compris sa fable actuelle du compteur constitutionnel remis à zéro. Mais Alassane Ouattara est resté président de la République de 2015 à 2020, parce que, comme il l'a lui-même publiquement et nombre fois affirmé, le principe de la limitation des mandats présidentiels au nombre de deux, valable depuis 2000, n'a jamais été interrompu par le constituant ivoirien.

L'interprétation des textes n'est donc pas du tout en cause. C'est l'intention et l'action frauduleuses de Ouattara qui piratent notre Constitution. Nous faisons face au braquage d'un peuple par un gouvernement corrompu et tyrannique.

Vous contestez la possibilité donnée à Alassane Ouattara par le Conseil constitutionnel de se présenter au scrutin du 31 octobre. Qu'aurait-il fallu faire au moment du référendum pour donner sa virginité à tous les acteurs politiques dans le cadre institutionnel ?

Je l'ai dit plus haut. La Constitution est claire : Ouattara ne peut pas être candidat à un troisième mandat. Ses juristes l'ont dit. Les rédacteurs de la Constitution l'ont affirmé. Le ministre de la Justice l'a déclaré devant les députés. Lui-même l'a déclaré dans plusieurs interviews. Son revirement ne nous surprend guère, tant nous le connaissons comme un homme de reniement et de parjure. Quant au Conseil constitutionnel, lui aussi, ne nous étonne guère dans ses errements. C'est cette institution qui, en 2015, avait déclaré Ouattara candidat « par dérivation », après avoir accepté en 2010 qu'il soit candidat « à titre exceptionnel ». Aujourd'hui, on veut en faire un candidat « par effraction ». Et cela, nous ne sommes pas près de l'accepter. La Constitution n'est pas en cause, c'est la fraude à la Constitution que nous dénonçons.

Comment, alors que vous avez traversé des épreuves politiques ensemble (...)

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