Comme retranché dans sa ville natale de Daoukro, l'ancien président ivoirien, Henri Konan Bédié, 84 ans, travaille activement à la reconquête du pouvoir. Une ambition dont on ne sait pas encore qui sera le bénéficiaire: lui ou une nouvelle génération du Pdci, parti historique de l'indépendance.
Henri Konan Bédié a-t-il vraiment digéré la perte de la présidence et de son pouvoir en décembre 1999 ? Pas si sûr, lorsque l'on sait qu'il a convaincu Alassane Ouattara, lors de la révision de la Constitution en 2016, de faire sauter le verrou de la limite d'âge dans les conditions d'éligibilité à l'élection présidentielle. Le «Sphinx de Daoukro» y a peut-être vu une brèche, la possibilité d'un retour dans le jeu politique ivoirien, voire un accès direct au fauteuil présidentiel, dont il a hérité à la mort de Félix Houphouët-Boigny en 1993. Peut-être ne veut-il pas rester dans les mémoires comme celui ayant perdu le trône au détriment de sa communauté, ce même trône qu'il souhaite certainement reconquérir désormais pour lui ou l'un de ses fidèles. Première arme politique à sa disposition, l'épicentre baoulé qui compte encore la majorité des élus du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci), mais où plusieurs fauteuils ont été cédés au rival d'aujourd'hui, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp), lors des dernières élections municipales et régionales. Des défaites contestées, parfois violemment, comme à Grand-Bassam.
Si l'élection présidentielle est prévue pour octobre 2020, le candidat du Pdci sera, lui, connu dès 2019. Le congrès extraordinaire du 15 octobre dernier à Daoukro a permis de dresser le portrait-type de l'heureux élu. Pour les militants, « ce doit être quelqu'un dont la légitimité et la fidélité ne peuvent être remises en question, un militant actif et discipliné ». Un portrait qui, dans la configuration actuelle du plus vieux parti politique ivoirien, ressemble trait pour trait à celui d'Henri Konan Bédié. Son statut de président, et par extension de premier militant du Pdci, fait de lui le candidat le plus «légitime, fidèle, actif et discipliné». Ce n'est donc pas pour rien qu'il a souhaité que son mandat à la tête du Pdci se prolonge jusqu'au lendemain de l'élection présidentielle de 2020. « Bédié veut avoir toutes les cartes en mains, explique un militant, être le seul à décider, à être maître des choix et autant que faire se peut, de l'avenir.» Il n'est pas le seul, pourtant, à briguer cette candidature au sein du parti. Charles Konan Banny, 78 ans, ex-Premier ministre entre 2005 et 2007 et candidat à la présidentielle de 2015, avant de se retirer à la veille du lancement de la campagne électorale, n'a pas encore fait le deuil de ses ambitions. D'autres peuvent également prétendre incarner la légitimité du Pdci, notamment Jeannot Ahoussou Kouadio, 67 ans, le président du Sénat et l'un des visiteurs assidus de Bédié à Daoukro, mais aussi Jean-Louis Billon, 54 ans, devenu une figure du renouveau du Pdci, quelque peu en retrait mais très présent auprès des chefs traditionnels du grand centre (fief du Pdci), et le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel, Charles Koffi Diby, 61 ans. Malgré une moyenne d'âge de 65 ans parmi les membres du Bureau politique et les élus, ces derniers incarnent une nouvelle génération au sein du parti. Une génération différente, du moins, plus lointaine de l'houphouëtisme originel.
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À l’horizon 2019
Entre ces candidats putatifs, les rivalités sont grandes et, face à un Henri Konan Bédié peu loquace sur le sujet, ces derniers préfèrent attendre que les débats s'ouvrent d'eux-mêmes. D'autres ne cachent pas leurs réticences et leurs désaccords, à l'instar d'Essy Amara, 73 ans. Ce cadre historique du parti, ancien secrétaire général de l'Organisation de l'unité africaine (Oua) en dissidence avec le Pdci, et opposant à «l'appel de Daoukro» de septembre 2014, prévoyant le soutien du parti à la candidature d'Alassane Ouattara pour un second mandat, ne cache pas ses réserves : « S'il est vrai qu'on ne peut pas parler de sa succession tant qu'il est vivant, il est aussi vrai que si cette dernière n'est pas préparée, elle s'imposera à nous.» Présent lors du congrès extraordinaire de son parti, Amara est catégorique. « Ce que Bédié n'a pas fait en 10 ans de gouvernance, ce n'est pas maintenant qu'il le fera », lance-t-il pour répondre à ceux qui souhaitent voir la candidature de HKB en 2020. Pour lui, il faut avoir le courage d'ouvrir le débat sur le candidat du Pdci avant la convention prévue en 2019, afin que tous ceux qui prétendent au poste puissent se faire connaître. Pour Arthur Banga, historien et analyste politique, Bédié ne fait que se conformer à la tradition : « Il a une idée claire de son successeur mais, éduqué dans le plus pur esprit de la royauté baoulé comme Félix Houphouët-Boigny, il estime qu'on ne parle pas de la succession tant que le roi est en vie.» Ce dernier poursuit en indiquant que la stratégie de Bédié serait plutôt de « protéger son successeur afin d'éviter que des intrigues politiques, tant en interne qu'en externe, ne contrarient très tôt la montée de ce dernier ». Dans ce jeu tout en subtilités, mieux vaut donc avancer avec finesse, et même masqué, afin de ne pas risquer de heurter la susceptibilité du chef ou d'alimenter la concurrence au sein du Pdci. Du côté du palais présidentiel et des troupes favorables à Alassane Ouattara, on milite activement pour l'agrandissement du Rhdp, et les hautes personnalités de l'ancienne alliance au pouvoir sont donc fortement invitées à choisir leur camp.
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Souffler le chaud et le froid
Bédié est donc entré en dissidence ou en pré campagne. Délaissant les accolades chaleureuses avec « son jeune frère Alassane », il a transformé sa résidence de Daoukro en une sorte de siège de la royauté akan, où il passe ses journées à rencontrer hommes politiques et chefs traditionnels, le cigare toujours au coin de la bouche, malgré les recommandations de ses médecins et un malaise vagal en 2013 lors des festivités marquant les 67 ans de son parti. La voix toujours grave mais désormais moins assurée, Bédié reste très méfiant, même s'il continue de recevoir les uns et les autres. « Il a mis de l'ordre dans son personnel de maison et fait de moins en moins confiance à ceux qui l'entourent. Il est très regardant sur ses proches et ne compte pas trop s'éloigner de Daoukro », confie un visiteur assidu. En attendant de prendre position, Bédié entretient le flou et souffle le chaud et le froid. À raison d'ailleurs, car au Pdci, le président du parti constitue la seule instance véritablement décisionnelle. Le chef s'est entouré de son ancien cercle restreint de proches, du temps où il était encore président de la République, composé de son ex-ministre de l'Intérieur, Émile Constant Bombet, quelque peu tombé en disgrâce depuis 2011, mais aussi de ses fidèles compagnons Niamien N'Goran, ex-ministre de l'Économie et des Finances et ex-inspecteur général d'État, et Niamké Koffi, philosophe de talent et l'un des concepteurs de l'ivoirité. En revanche, HKB garde ses distances avec Charles Konan Banny et Alphonse Djédjé Mady. Bédié, dont on dit qu'il a la rancune tenace, n'aurait pas pardonné à ce dernier sa candidature lors du 12econgrès du Pdci en 2013.
Alors, HKB candidat ? « Connaissant Bédié, il ne ferait pas tout ce combat simplement pour placer son successeur. Si c'était le cas, il aurait certainement trouvé un consensus avec Alassane Ouattara pour positionner son poulain », confie un diplomate. Un responsable proche du pouvoir ironise : «Le plus incroyable dans cette histoire, c'est que c'est le Rassemblement des républicains (Rdr) et Alassane Ouattara qui ont en quelque sorte recréé Bédié, lui redonnant une stature de grand frère et de partenaire respecté. L'alliance en 2011 avec le Pdci était nécessaire, mais Béd (...)
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