Eglise catholique, crise post-électorale, assassinat de Guéi, sorcellerie, pédophilie... / L'Abbé Norbert Eric Abékan : « Les responsables de la cathédrale n'ont pas su protéger le Gal Guéi »


« Il y a des freins à la réconciliation en Côte d'Ivoire » (Photo : Diom Célest)
  • Source: L'Inter
  • Date: mar. 22 mars 2016
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L'Abbé Norbert Eric Abekan, curé de la paroisse Notre Dame de la Tendresse de la Riviera Golf n'a décidément pas la langue dans la poche. Sans détour et sans ménagement, il aborde plusieurs sujets, y compris les plus gênants : les prêtres, les femmes, l'argent, le mariage gay, la pédophilie dans l'Église et, bien sûr, les tentatives d'assassinat contre sa personne.

Aujourd'hui, vous semblez être sous l'éteignoir. Ce n'est plus le même Abékan qui mobilisait les foules impressionnantes à Notre Dame de Treichville. Qu'est-ce qui s'est passé ?

C'est vrai qu'au début, j'étais tout feu, tout flamme. J'étais assez jeune. Un début difficile, mais j'ai initié quelque chose qui aujourd'hui a pris. Je disais qu'il est grand temps que nous formions la relève. Mon grand souhait, c'est que ceux de Bassam restent à Bassam, ceux de Yopougon restent à Yopougon, ceux de Bouaké restent à Bouaké, parce que tout le monde venait à Treichville. J'ai donc pris du recul. Mais, c'était volontaire. C'est vrai que le cardinal Bernard Yago, paix à son âme, qui n'avait pas bien compris l'importance de ces prières, m'avait demandé de stopper ; et pendant un an, j'ai arrêté. Et, Monseigneur Paul Dacoury qui était comme mon Père spirituel, mon directeur spirituel, m'a donné ce conseil en utilisant cette image. Il a dit : « Mon fils, tu vois l'eau qui coule du rocher vient en force. Et, tu sais qu'un homme peut mettre un barrage. Mais, comme l'eau vient en force, elle peut contourner le barrage et continuer sa route. Alors, ce que tu es en train de faire, si on te dit d'arrêter, si ça vient de Dieu, ça va continuer. Si ça ne vient pas de Dieu, ça va s'arrêter ». Cette image m'a tellement marqué qu'elle m'accompagne encore aujourd'hui. Dans l'Église c'est l'obéissance. Donc, je me suis soumis. J'ai arrêté pendant un an. Un an après, le même cardinal Yago convoque tous les prêtres et leur dit que le pape d'alors, Saint Jean-Paul II, a écrit un livre qui s'appelle ''Livre de bénédiction''. Le cardinal a souhaité que ça ne soit pas seulement un prêtre qui fasse tout ce travail. Il venait de me dire au fond, continue ton travail. J'ai donc poursuivi mon œuvre jusqu'à ce que je parte au Canada. Les gens n'avaient pas compris, ils pensaient encore que c'était ma hiérarchie qui avait bloqué mes activités. Ce n'était pas ça. C'est vrai qu'au début, ma hiérarchie a dit non, parce que c'était tout nouveau et elle ne comprenait pas bien ce qui se passait. Donc, on m'a dit d'arrêter, le temps de bien voir. Aujourd'hui, je bénis Dieu, parce que ça se poursuit par les communautés nouvelles, mais je vais où on m'invite. Je continue d'une certaine manière cette œuvre. Je suis curé de paroisse, et donc en tant que tel, ma priorité, c'est ma paroisse.

 

Lorsque vous parlez de relève, pensez-vous aux communautés nouvelles ? Peuvent-elles véritablement assurer cette relève ?

Parlant des communautés nouvelles, je dis que c'est un couteau à double tranchant. Ces laïcs nous apportent beaucoup, ils font beaucoup de biens. Ceux qui ont compris que dans l'Église il y a la hiérarchie, font beaucoup, parce qu'ils acceptent d'aller se former. Ils acceptent d'aller dans nos universités et grandes écoles pour se former. Et ceux-là font du bon travail parce qu'ils travaillent en collaboration avec les prêtres. Ceux là, malheureusement, sont rares. Il y a une multitude aujourd'hui, qui font n'importe quoi. C'est en ce sens que je dis que les communautés nouvelles sont un couteau à double tranchant qui font du bien, mais qui font beaucoup de mal aussi, comme si ces bergers et bergères détricotaient tout ce qu'on dit dans l'Église. 

 

Quelles sont les dispositions qui sont prises pour recadrer les communautés qui ne rentrent pas dans la vision de l'Église ? 

Au niveau de la Conférence épiscopale, il y a un évêque qui est chargé des communautés nouvelles. Monseigneur Gaspard  Béby Gnéba de Man. Je sais qu'il a eu plusieurs rencontres avec ces leaders. Au niveau de chaque diocèse, par exemple à Abidjan, le cardinal Jean-Pierre Kutwa a nommé un prêtre qui est chargé des communautés nouvelles. 

 

Vous avez été la cible d'une attaque à main armée au plus fort de la crise ivoirienne. Est-ce par rapport à certains messages que vous véhiculiez à l'époque ?

Ma vie est dans la main de Dieu. Je venais de faire un débat à la radio, où j'ai parlé de la Paix. Aujourd'hui encore, j'ai la cassette de l'émission. Les évêques l'ont reécoutée. Je parlais de réconciliation. J'invitais à déposer les armes, à telle enseigne que j'ai formé un groupe qu'on appelle les bandeaux blancs. Je me suis permis d'aller rencontrer le président Laurent Gbagbo par deux fois. Je me suis permis d'aller au Golf, pour chercher à rencontrer le président Alassane Ouattara. C'est vrai que ma voix ne portait pas trop, mais je voulais apporter ma contribution. Et, voilà que je reviens de cette émission et qu'à la hauteur de la statue Akwaba de Port Bouet, je vois un taxi avec quatre hommes à l'intérieur. J'ai fini l'émission à 23 heures et quand je quittais la radio, il était 23 heures 15. Ils ont commencé à tirer sur moi à 23 heures 28 à la hauteur de la Cathédrale Saint-Paul du Plateau. C'était deux hommes armés de Kalachnikov. Ils pensaient que j'étais mort, mais non, Dieu était là. J'ai été grièvement blessé, il y avait des débris de chair éparpillés dans la voiture. Je perdais beaucoup de sang. Je ne sais pas comment j'ai fait, mais je me suis retrouvé à la Nonciature. Lorsque je me suis réveillé, j'étais à la Pisam. On m'a dit que ce sont des militaires qui m'ont reconnu. Dans ma chambre d'hospitalisation, une balle tirée a fracturé ma porte. Dieu merci que je n'étais pas dans le lit. Quand on me pose la question, je réponds que sincèrement, je ne sais pas qui m'en voulait. 

 

Depuis ce temps, Abékan a-t-il fait l'objet d'autres menaces?

Il paraît que des gens sont venus à l'hôpital en veste me voir. Mais, la Nonciature a laissé des consignes fermes que personne ne rentre. Ils ont donné une liste de personnes autorisées à me rendre visite. Je voyais que je n'étais pas en sécurité dans ce lieu. J'ai demandé à partir et des médecins venaient régulièrement dans un endroit tenu secret me soigner pour que ma plaie ne s'infecte pas et qu'il n'y ait pas de gangrène. J'étais convaincu que j'allais perdre ma jambe, que j'allais être amputé. Mais, finalement, les médecins ont rattrapé. Après cet incident, c'était la nourriture. On m'a apporté un repas. Dieu merci que j'ai dit à mes vicaires : ''ne mangez pas''. J'ai demandé qu'on finisse le plat que la cuisinière a préparé. On revient une demi-heure après, pour ouvrir la nourriture, la sauce avait monté, on ne pouvait pas rester dans la maison. Après, ce sont des gens qui sont rentrés avec des armes dans ma chambre. Ils ont tout pris. A l'heure où je vous parle, je ne sais pas qui a voulu me tuer. Je ne sais pas. Je ne peux pas le dire ouvertement. Même si je savais, peut-être que je ne pourrais pas le dire. Je l'aurais dit à qui de droit, mais je n'allais pas publiquement le dire. 

 

Quels sont vos rapports avec les différents chefs d'État de la Côte d'Ivoire?   

J'ai eu cette joie de côtoyer tous les chefs d'Etat de Côte d'Ivoire. D'abord le premier président, Félix Houphouët-Boigny. Quand il était malade, c'est moi qu'il a fait appeler. J'ai été en Suisse auprès de lui. C'est moi qui suis revenu avec lui. Son dernier voyage, j'étais avec lui, en plus du pilote et du médecin. Nous étions quatre dans ce petit avion blanc qui l'a ramené. J'étais en de bons termes avec lui. Ainsi que le président Bédié qui m'a fait appeler pour aller bénir la maison qui est aujourd'hui le palais qui a été bombardé. Après lui, c'est le président Robert Guéi qui m'a fait appeler par sa femme, lorsque j'étais curé à Saint Jean de Cocody, pour une prière. Ensuite, le président Laurent Gbagbo que je suis allé rencontrer à trois reprises. La première fois, c'était à propos des prisons, pour lui dire que ce n'est pas normal que des enfants naissent en prison. Je suis reparti une deuxième fois pour le dialogue avec son frère Alassane Ouattara et la troisième fois, quand j'ai fait les bandeaux blancs pour dire aux deux présidents d'arrêter, parce qu'on tuait trop de gens. Pendant ce temps, le commando invisible tuait. On tuait partout. Tout le monde tuait. C'est dire que tous me faisaient confiance. Avec le président actuel également, il n'y a aucun problème, puisqu'il était venu ici à Notre Dame de la Tendresse avec son épouse. Souvent nous nous voyons à la mosquée. Je suis pour tous les présidents, je n'ai pas de préférence. 

 

Comment appréciez-vous le rôle joué par l'Église, dans le cadre de la réconciliation nationale ? 

Le rôle de l'Église n'est pas politique. Mais, l'Église a son mot à dire pour donner des conseils, pour orienter et guider. Monseigneur Paul Siméon Ahouana est religieux, il est évêque, il est même archevêque. Il apporte quelque chose à la réconciliation. Certains ont interprété diversement sa nomination. Moi, je ne vois pas d'inconvénient. Le fait que l'Église apporte un éclairage et surtout qu'on parle d'indemnisation des victimes, c'est parler de réconciliation. L'Église a plus que jamais sa place dans la réconciliation, mais pas dans la politique politicienne. Je reprécise que l'Église a son mot à dire et je crois que c'est dans ce sens que Monseigneur Ahouana a accepté de jouer ce rôle. C'est vrai qu'au départ ce n'était pas bien compris, j'aurais appris qu'il n'a pas vu ses pairs avant d'accepter, et ça a fait que les autres se sont braqués un peu, mais, je crois qu'ils se sont parlé franchement à une rencontre à Taabo. Et, comme je ne suis pas dans le secret des Dieu, rien n'a filtré. Mais finalement, ils ont tous accepté. 

 

On perçoit très souvent dans le discours de certains religieux des prises de positions politiques. Cela n'est-il pas souvent source de divisions au sein de l'Église ?

Je condamne cela, dans la mesure où ces hommes de Dieu n'ont pas compris que Dieu est pour tous. Nous sommes pour le peuple. Je peux aimer un président, mais je ne suis pas obligé d'aller forcément dans son sens. Si je vois que le président parle dans un sens qui va contre le peuple, je dois pouvoir dire que je ne suis pas d'accord. C'est ce que les vrais prophètes ont fait dans la Bible. Quelquefois on a peur et on rentre dans les compromissions, je ne suis pas d'accord. Qu'on soit neutre, qu'on joue notre rôle d'éducateurs, de défenseurs des pauvres, mais dans le même temps, on est pour tout le monde. Les gouvernants, comme les gouvernés. Voilà notre rôle. Malheureusement, on voit dans les pages des journaux, on entend à la radio et à la télévision, certaines prises de positions claires. Ce n'est pas notre rôle. Je condamne cette façon de faire. 

 

Lors du procès sur la mort de l'ex-président Robert Guéi, il a été fait cas du rôle joué par l'Église Catholique. Certains vont jusqu'à dire que c'est l'Église qui l'a livré .

Là, je ne sais pas. Je sais que le président Guéi, paix à son âme, s'était réfugié à la Cathédrale Saint-Paul du Plateau. Sincèrement, je vais être honnête avec vous, vous êtes un grand journal, vraiment neutre, que j'aime. Je réaffirme  ce que j'ai dit : je ne sais vraiment pas. Mais, j'ai entendu un prêtre, l'Abbé Wadja James, qui a écrit un livre. Et comme on le dit : ''Les paroles s'envolent, mais les écrits restent''. Donc ça va rester dans l'histoire. Il dit que c'est l'Église qui a livré Guéi. Si c'est l'Église, certainement qu'il a des preuves. Moi, je n'ai pas de preuve, donc je ne peux pas m'engager. Je ne peux pas dire ce que je n'ai pas vu. Je vais témoigner de ce que j'ai vu, mais pas de ce qu'on a dit. Je sais que c'est effectivement à la Cathédrale que le président Guéi a été pris. Je l'affirme. Et, tous les témoignages concordent : c'est à la Cathédrale. Donc, on pourrait dire que les responsables de la Cathédrale n'ont pas su protéger Guéi. On peut peut-être tirer cette conclusion. Mais, qu'est-ce qui s'est passé ? Je crois qu'un jour la vérité va sortir. 

 

Avec tous ces secrets qui restent encore cachés, peut-on parvenir à une vraie réconciliation  en Côte d'Ivoire ?

Il y a pas mal de secrets. On ne sait pas au jour d'aujourd'hui, par exemple, qui sont ceux qui ont déversé les déchets toxiques en Côte d'Ivoire. Puisque tous ceux qui ont été interrogés, ministres, Pdg, Dg…personne ne sait. On a l'impression que les déchets toxiques sont arrivés d'Europe par hasard ! Aujourd'hui, on comprend qu'il y ait beaucoup de cancers et des enfants malformés. Et là, c'est une vérité qui doit se savoir, parce que la réconciliation vraie ne peut se faire que sur la base de la vérité. Or, tous ces secrets qu'on ne dévoile pas, sont comme des freins, des obstacles à la réconciliation vraie. Quand on parle de réconciliation, je pense qu'il faut prendre l'exemple de l'Afrique du Sud, où il y a eu des gens qui ont pleuré parce que la vérité a été dite. A partir de la vérité, aujourd'hui, l'Afrique du Sud gagne. Mon souhait est que toutes ces vérités cachées soient découvertes aussi en Côte d'Ivoire. Comment voulez-vous que, sur la base du mensonge, on se réconcilie ? Il faut beaucoup de vérité. Il faudrait que les gens aient le courage de dire ''c'est moi qui ai posé tel acte''. Et puis, on dit que lorsqu'on avoue ses fautes, on est soulagé. En disant cette vérité, je crois que la réconciliation sera plus durable. Il faut éviter de faire du vernissage. On fait beaucoup de vernissage. Il faut aller jusqu'à enlever le vernis, percer l'abcès, faire sortir le pue pour guérir la plaie. Mais, je ne dis pas qu'il n'y a pas un travail qui a été fait. Il y a un travail qui a été fait. Aujourd'hui, c'est la Conariv, mais avec la Cdvr, il y a un travail qui a été fait, parce que c'est être malhonnête que de ne pas reconnaître ce travail. La guerre, c'est facile, la réconciliation a la peau dure. C'est difficile à faire. C'est pour cela qu'on nous dit d'éviter la guerre, parce qu'on sait comment en une fraction de seconde, vous appuyez sur une bombe, une kalachnikov, vous détruisez tout. Mais, pour la réconciliation, c'est difficile. Je félicite ceux qui ont travaillé à la Cdvr. Le président Banny et toute son équipe. La perfection n'est pas de ce monde. Aujourd'hui, c'est la Conariv qui continue le travail. Le travail se fait, mais il faudrait assez de courage pour que la vérité sorte, pour la réconciliation vraie. Sinon, on va faire une réconciliation de façade, qui est une bombe à retardement. Ça peut exploser encore. Je souhaiterais qu'on désamorce cette bombe à retardement cachée.

 

Les chrétiens de Côte d'Ivoire, à l'instar de ceux du monde entier, vivent un moment fort qui est le temps (...)

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