Interview exclusive / Pr Séry Bailly (Porte-parole de la CONARIV) : ''La réconciliation va demander de grands sacrifices''
Des confidences sur la crise au FPI
Ce qu'il dit du rapport de Banny


Que nos compatriotes soient rassurés, il n’y a pas de grande catastrophe, avance Pr Séry Bailly, relativement à la polémique autour du rapport de l’ex-Cdvr.
  • Source: L'Inter
  • Date: mar. 26 avr. 2016
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La Commission nationale pour la réconciliation et l'indemnisation des victimes des crises survenues en Côte d'Ivoire (Conariv) vient de remettre au président Alassane Ouattara, le fichier unique consolidé des victimes. Le professeur Séry Bailly, porte-parole de la Conariv, s'explique sur les cas des rejets (64%) et aborde quelques autres aspects du rapport d'activités de la Commission.

Professeur, la Conariv a remis, ce mardi 19 avril, au chef de l'Etat, son rapport d'activités ainsi que le fichier unique consolidé des victimes des crises survenues en Côte d'Ivoire. Avez-vous le sentiment du travail bien accompli, à l'aune des félicitations enthousiastes du président Ouattara ?

La tâche était assez difficile pour diverses raisons. D'abord, certains de nos compatriotes étaient sceptiques. Ensuite, les Ivoiriens ont cette habitude d'attendre les derniers moments avant de s'exécuter. Cela posé, nous étions au service de notre communauté. Nous avons essayé de faire de notre mieux. Le seul point qui n'ait pas été vraiment abordé a trait au recensement de nos compatriotes qui vivent à l'extérieur du pays. Cette opération pourra intervenir en son temps. On peut dire, globalement, que nous avons essayé de travailler de la manière la plus méthodique, la plus rigoureuse possible. 

 

Sur les 874.056 dossiers réceptionnés par la Cellule vérification de la Conariv, 316.954 ont été validés, soit 64% de rejets. Y aura-t-il un recours pour d'éventuelles victimes qui se sentiraient lésées parce que n'ayant pas été prises en compte ? 

Nous nous sommes sentis interpellés par cette proportion élevée de rejets. C'est pourquoi, la première chose à faire consiste en l'explication. Il faut considérer que lorsqu'on associe les doublons aux dossiers sans pièces jointes, on se situe à environ 75% de rejets. Sur ce point, on ne saurait nous condamner. Il faut mettre de côté les doublons et retenir les dossiers de personnes dont les documents sont présents. Quand on enlève les 75%, il reste 25%. Nous avons recommandé, dans notre rapport, que l'autorité qui prendra la relève puisse donner la possibilité à ceux qui le souhaiteraient de faire des réclamations. D'abord, il faut que le public sache qui est inscrit sur la liste. Ensuite, celui dont le nom n'y figure pas devrait avoir la possibilité d'introduire une réclamation de telle manière que son cas soit considéré à nouveau. 

 

Des cas de fraude ont été relevés lors des vérifications. La Conariv, dans sa démarche, prévoit-elle des procédures judiciaires à l'encontre des fraudeurs ?

Non ! Nous n'avons pas l'intention de poursuivre des personnes. La sanction, c'est déjà de dire :''Vous n'êtes pas sur la liste''. Nous sommes dans une période de crise. La crise n'est pas seulement économique ou politique. Elle est aussi morale. Il faut, dès lors, comprendre que, dans la recherche du salut, certains cherchent à s'infiltrer. On ne les poursuivra pas. Il suffit de les écarter de la liste, d'autant que les réparations qui seront faites viendront des ressources du contribuable. Il faut faire en sorte que nous puissions aborder les cas qui sont réels. Je vous assure que 316.954, c'est beaucoup. Cela peut revenir très cher au contribuable ivoirien. 

 

Lorsque vous dites « très cher », cela peut renvoyer à peu près à quel montant ?

Je ne peux pas donner un ordre de grandeur. Mais sachez, par exemple, que dans le cas du Maroc, sur 16.000 victimes, ils ont dépensé, semble-t-il, environ 20 milliards Fcfa. C'est au gouvernement de voir quelle sera la politique définitive. Nous avons proposé quelques orientations, c'est au gouvernement de décider de ce qu'il faut faire. Le gros lot, ce sont les victimes économiques : les entreprises détruites, les personnes ayant perdu leurs biens. Ça coûte très cher ! Il faut que le gouvernement étudie, avec ces opérateurs, comment compenser. Que ce soit sous la forme fiscale ou sous la forme de facilitation bancaire. Il ne resterait, par la suite, que le gros lot des personnes décédées, des blessés. Il faudrait penser à la prise en charge des orphelins, ceux qui sont mutilés, aussi. 316.954, c'est donc un chiffre important. Il ne faut pas voir uniquement le taux de rejets. 

 

En revisitant la typologie des préjudices, il est flagrant que la destruction des biens représente 84,78% des cas. Doit-on entendre que les dégâts matériels ont, de très loin, supplanté les autres types de préjudice ?

Effectivement, beaucoup de gens ont perdu leurs biens. Les maisons détruites, les usines, les véhicules, les entreprises, les pharmacies etc. De nombreux biens ont été détruits ou ont été emportés. C'est une dimension importante de la crise. Il faudrait faire en sorte qu'il n'y ait pas de ressentiment. Parce qu'il est à craindre que les ressentiments ne conduisent à d'autres affrontements, à d'autres conflits. Donc, tout ce qui est susceptible de créer des frustrations, il faut prendre cela en charge et exprimer, en quelque sorte, les regrets de la nation. On ne peut pas remplacer une vie humaine. On ne peut pas remplacer une entreprise. Mais la société, ayant compris son tort, essaie de compenser, pour que la communauté, dans sa globalité, puisse repartir d'un meilleur pied. C'est un peu le sens qu'il faut donner à ces réparations.   

 

Dans son discours face au chef de l'Etat, le président de la Conariv, Mgr Paul Siméon Ahouana, a expliqué que le malaise était profond et que, nonobstant une présidentielle apaisée, les cœurs étaient encore chargés de rancœurs et d'esprit de vengeance. Y a-t-il, dans cette séquence, une mise en garde de la part de la Conariv à l'endroit des hommes politiques, tous bords confondus ?

Dès la Cdvr (Commission dialogue, vérité, réconciliation, ndlr), il y a eu une étude où près de 50.000 Ivoiriens ont été interrogés. Cette étude a montré que, pour les personnes enquêtées, les hommes politiques sont la cause de la crise. En tout cas, ils en seraient la source principale. Quand nous parlons de ressentiment, c'est l'ensemble de la population rencontrant des difficultés qui ne sont pas toujours liées à ce qu'on appelle « crise militaro-politique ». Parce que le problème du chômage, le coût de la vie, les difficultés de vie quotidienne relativement au transport, à l'hébergement, à l'éducation, tout cela crée des tensions en chacun de nous. Même ceux qui disent avoir « un peu », pour emprunter la formule au nouchi, ressentent cette pression à travers les sollicitations qu'ils reçoivent. Donc, tout ce monde a quelque chose sur le cœur. Il faut faire en sorte qu'il y ait un apaisement en chaque composante de la nation, mais singulièrement les hommes politiques, parce qu'au fond, ce sont les contradictions entre eux qui entraîneront tout le reste. C'est la lutte pour le pouvoir, pour les ressources, qui aura un effet d'entraînement. Tous ceux-là doivent se sentir interpellés. Nous avons observé que si tous les partis politiques sont plus ou moins divisés, ce n'est pas rassurant pour l'ensemble de la société. Si les composantes sont divisées, comment en les mettant ensemble, la totalité sera rassemblée, réconciliée ? Il faut, à l'intérieur de chacun, entre les groupes sociaux ou politiques, qu'il y ait l'harmonie pour qu'on ait l'espoir de restaurer l'harmonie sociale, la réconciliation nationale. C'est donc une interpellation qui s'adresse à tous, mais principalement aux hommes politiques. Il faut bien l'admettre. 

 

Au nombre des recommandations, la Conariv a suggéré l'instauration d'une journée nationale du pardon. Quelle en est la symbolique ?

L'une des difficultés de la réconciliation est que nous sortons d'une crise et entrons dans une série d'élections. Or, chaque élection est rivalité, compétition, concurrence. C'est-à-dire risque d'incompréhension, risque de parole blessante. On est dans un contexte où nous devons nous mettre sur le chemin de la réconciliation. Je ne crois pas avoir entendu l'autocritique de l'un des partis ivoiriens. Nous n'avons pas entendu l'autocritique du Pdci, du Rdr, du Fpi. Nous n'avons entendu aucune autocritique. Peut-être que la cérémonie du pardon permettra à chacun d'entrer en lui-même pour voir ce qu'il a subi et pouvoir pardonner à ceux qui lui ont imposé cette souffrance. Mais aussi voir ce qu'il a fait subir aux autres et demander pardon, à son tour. Cette journée serait l'occasion donnée à chacun de réfléchir à son implication dans la crise. Il me semble qu'il y a des causes objectives ne dépendant pas des uns et des autres. Lorsque je prends le type d'économie que nous avons et que je considère comme une économie de mise en valeur datant de l'époque coloniale, cette économie, tant qu'elle durera, entrainera des crises, l'immigration, des conflits fonciers, etc. Mais, en dehors de cela, peut-être que les excès des uns et des autres, ont pu contribuer à la crise. Si chacun fait humblement son autocritique, cela pourra faire avancer la cause de la réconciliation. Il ne faut pas se faire d'illusion, mais il faut espérer que cette action, cette symbolique, soit salutaire. 

 

L'un des membres influents de la Conariv, Sa Majesté Nanan Tanoé, 1er vice-président, a fait une prise de parole, mardi, devant le chef de l'Etat, à la fin de la cérémonie. Les échanges étaient certes un huis clos, mais il nous revient que Sa Majesté a posé le problème du rapport de l'ex-Cdvr qui n'aurait pas été consensuel, au sens où il émanerait de son seul président, le Premier ministre Charles Konan Banny. Etait-ce une mise au point qui engageait toute la Conariv ou son auteur uniquement ?

Nous avons été surpris, les membres de la Conariv, de même que les autorités qui étaient présentes. Mais, le problème n'est pas nouveau. C'est un problème qu'il faut dédramatiser. C'est le genre de situation où, soit on en dit trop, soit on en dit trop peu. Vous ne pouvez pas mettre sur la place publique les fonctionnements ou les dysfonctionnements de la Cdvr. Ce que je dois dire, en tant que porte-parole, c'est qu'il faut rassurer nos concitoyens que dans l'hypothèse où il y a deux rapports, il n'y a pas de divergence fondamentale. Il ne peut pas y avoir de divergence fondamentale. Je pense que, dans les jours qui viennent, cette question sera éclaircie. Donc, on ne doit pas interpréter. C'est vrai qu'en rédigeant, il a pu y avoir des virgules par ici, des points virgules par là, mais il n'y avait pas de contradiction fondamentale pour que cela puisse donner lieu à beaucoup de commentaires. Nos compatriotes doivent être rassurés. Je pense que cela va être réglé. Quand ce rapport sera publié, nous verrons bien. D'ailleurs, j'ai vu, dans les journaux, certaines interprétations qui ne correspondent pas à l'esprit du rapport. Donc la meilleure chose, c'est de publier et que chacun puisse lire. Que nos compatriotes soient rassurés, il n'y a pas de grande catastrophe. 

 

Est-il avéré que la superposition de structures, Conariv et Pncs, notamment, n'a pas eu que des effets positifs, avec des moments de télescopage ? 

Je ne peux pas le nier. Mais, nous n'avons jamais souhaité exposer ces choses-là sur la place publique. D'ailleurs, cela est humain. 

 

Faut-il considérer que la mission de la Conariv est terminée, d'autant que le chef de l'Etat, à la remise du rapport, n'a point évoqué le renouvellement du mandat de la Commission ?

Nous avons compris que notre mission était de produire une liste consolidée. Ce que nous avons fait. A partir de ce moment-là, la mission est terminée. Mais, nous ne nous sommes pas mis en mission nous-mêmes, c'est le chef de l'Etat qui met des personnes ou des groupes en mission. C'est lui qui verra quelle suite donner, puisque nous voyons tous que la réconciliation n'est pas simplement l'indemnisation des victimes. Il ne suffit pas de distribuer de l'argent et de dire « yako » aux uns et aux autres pour que la réconciliation ait lieu, dès lors que nous disons qu'il y a des questions de fond. Mais, c'est au chef de l'Etat d'apprécier quelle sera sa politique et quelle institution il voudra bien mettre en place pour atteindre ces objectifs. C'est à lui d'en décider. 

 

La crise qui frappe de plein fouet le Front populaire ivoirien, votre parti politique d'origine, est-elle un pendant, une forme de dérivation du « malaise profond » diagnostiqué tantôt par l'homme de Dieu ?

C'est une dimension de la crise. Il n'y a pas que le Fpi. La division concerne le Pit, le Mfa de mon ami Anaky Kobena. Avec un peu de mémoire, on verra que l'Udpci aussi a traversé beaucoup de crises depuis Akoto Yao, jusqu'à ce qu'on en arrive à la situation où nous sommes. C'est un peu à l'image du tremblement de terre. Vous avez le tremblement de terre et les répliques. La grande crise nationale ne peut pas ne pas avoir de conséquence sur d'autres institutions. Les familles risquent d'être divisées, les institutions, les groupes. C'est à nous de travailler à rassembler tout cela parce que la perception de la crise peut être source de désaccord. Tout le monde ne voit pas l'objet de la même façon. Cela suffit déjà à créer des (...)

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