Attentat de Grand-Bassam : sept questions pour comprendre


Forces de sécurité sur la scène de l'attaque jihadiste à Grand-Bassam, en Côte d'Ivoire, le 13 mars 2016.
  • Source: jeuneafrique.com
  • Date: mer. 30 mars 2016
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Gestion de la crise, communication, renseignements, identité des tueurs, répercussions sur l'économie…

  • Qui est intervenu ?

Si les policiers, les gendarmes et les membres du Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO) – une unité d'intervention mixte créée en 2013 pour protéger les grandes villes du pays et qui relève du ministère de l'Intérieur – sont les premiers à être arrivés sur place, ils ne sont pas directement intervenus. Leur première mission a été de faire remonter le maximum d'informations, de sécuriser le périmètre et le plus de personnes possible. Après un moment de confusion (des forces de sécurité de toutes natures ont convergé vers le site sans que l'on ne comprenne le rôle des uns et des autres), l'assaut a été donné par les Forces spéciales ivoiriennes (FSI) du colonel Lassina Doumbia, sans aide étrangère et sur instruction du président de la République. Les membres de cette unité d'élite formés en 2011 au Maroc, en Égypte, en Chine et aux États-Unis ont également bénéficié d'entraînements avec les Forces spéciales françaises. Parmi eux, notamment, les ex-comzones Gaoussou Koné, alias Jah Gao, Morou Ouattara et Koné Zacharia

  • Qui sont les terroristes ?

Selon Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui a très vite revendiqué l'attaque, ils seraient au nombre de trois : Hamza al-Fulani, Abou Adam al-Ansari et Abdul Rahman al-Fulani. Le 16 mars, la branche média du groupe terroriste diffuse les photos des trois assaillants, précisant que les deux premiers sont issus des rangs de son allié Al-Mourabitoune, le mouvement dirigé par l'Algérien Mokhtar Belmokhtar. Un duo (Al-Mourabitoune ayant prêté allégeance à Aqmi en décembre 2015) qui avait déjà frappé à Ouagadougou deux mois plus tôt.

D'où viennent-ils ? L'organisation terroriste ne le précise pas. Les spécialistes avancent quelques hypothèses fondées sur leurs noms de guerre : « al-fulani » signifie « le Peul », et « al-ansari » désigne, dans la terminologie jihadiste, un combattant autochtone, par opposition à « al-moujaher », qui désigne celui venant de l'extérieur. Des analyses génétiques, effectuées en collaboration avec des experts français, devraient permettre d'en savoir plus sur leurs origines. Les réponses pourraient aussi venir du contenu du téléphone portable appartenant à l'un des terroristes et retrouvé sur place. Selon les informations recueillies par Jeune Afrique, il révélerait notamment la présence des assaillants pendant deux mois à Abidjan, et dans un grand hôtel de la ville. Il apparaîtrait aussi qu'en février un des contacts réguliers du commando s'est rendu à Bassam pour y réaliser des repérages.

"N'y avait-il que trois terroristes ? Les témoignages des survivants paniqués divergent (trois, six, dix…) et font même parfois état de terroristes en fuite"

La rapidité d'intervention des Forces spéciales ivoiriennes a permis d'éviter le pire. Mais les spécialistes s'interrogent sur le bilan – 19 morts, dont 3 soldats -, plus faible que celui de l'attentat de Ouagadougou (30 morts), d'une attaque pourtant potentiellement plus meurtrière compte tenu du nombre élevé de personnes qui se trouvaient sur les plages et des armes saisies (kalachnikovs, grenades et de nombreuses munitions). « Les organisations jihadistes recrutent de plus en plus localement, des personnes de plus en plus jeunes, déterminées mais aux formations parfois moins abouties », remarque un spécialiste.

Malgré le communiqué d'Aqmi, une question agite les esprits à Abidjan et à Grand-Bassam : n'y avait-il que trois terroristes ? Les témoignages des survivants paniqués divergent (trois, six, dix…) et font même parfois état de terroristes en fuite. Une confusion nourrie par la première déclaration du gouvernement qui faisait état de six terroristes. « Il n'est pas impossible que des complices du commando formé par les trois assaillants soient aujourd'hui en fuite, qu'il s'agisse de logisticiens ou de guetteurs, par exemple », précise-t-on au ministère de l'Intérieur.

  • Qui a géré la crise ?

L'attaque est survenue au pire moment : un dimanche, aux alentours de midi. Le président de la République, Alassane Dramane Ouattara (ADO), qui se trouve alors à Assinie (une station balnéaire située à 40 km de Grand-Bassam) avec sa femme, est rapidement prévenu. Assurer sa protection est une priorité – de nombreuses forces de sécurité avaient accompagné le couple présidentiel, qui organisait l'avant-veille le gala de la fondation de la première dame, Children for Africa. ADO s'entretient très vite par téléphone avec ses plus proches collaborateurs civils et militaires afin de recouper toutes les informations.

Agir vite et en assumer les éventuelles conséquences, ou attendre l'appui de soldats français ? Les questions se bousculent, et les réponses en provenance de son premier cercle décisionnel sont parfois diamétralement opposées. Ce cercle, qui le compose ? Son frère, Téné Birahima Ouattara, dit Photocopie, ministre des Affaires présidentielles ; le secrétaire général de la présidence, Amadou Gon Coulibaly ; son directeur de cabinet, Marcel Amon-Tanoh ; les patrons du renseignement ivoirien, dont Vassiriki Traoré, coordonnateur des services de renseignements ; et le président de l'Assemblée nationale, Guillaume Soro.

Le ministre de l'Intérieur, Hamed Bakayoko, qui est alors en déplacement au Ghana, est rapatrié par avion, tandis qu'un poste de commandement (PC) « Autorités » est installé au sein de son ministère. Sur le terrain, un PC est également installé à l'Hôtel de France de Bassam. Mais c'est à Assinie que toutes les décisions seront prises. À 14 h 45, endossant alors ses habits de chef suprême des armées, Alassane Ouattara ordonne l'assaut. Ce n'est qu'à la fin de celui-ci qu'il sera héliporté à Abidjan. Une heure et demie plus tard, il se rend à Grand-Bassam.

D'abord le silence, un long silence. Près de cinq heures entre les premiers tirs (12 h 25) et la déclaration à la télévision nationale du ministre de l'Intérieur, Hamed Bakayoko (17 h 10). Puis la publication d'un premier communiqué gouvernemental très flou et vite retiré ; un bilan faisant état de six terroristes « neutralisés », avant d'être réduit à trois… Comme souvent dans ce genre de crise, les couacs ont été nombreux. Ce genre d'épisode étant totalement « inédit dans le pays, il est normal qu'il y ait eu quelques cafouillages au début », avance-t-on à la présidence. Des explications qui semblent, pour le moment, relativement bien comprises par des Ivoiriens qui concentrent leurs critiques acerbes sur la Radiodiffusion Télévision ivoirienne (RTI).

Dès la confirmation des attaques, alors que l'information se répandait largement sur les réseaux sociaux et dans les médias internationaux, la chaîne publique brillait par son absence. Point de bandeau d'information, de flash info, encore moins de direct… Pis, la RTI a même diffusé un match de football dans l'après-midi. Le premier reportage consacré aux événements ne sera diffusé que peu avant 20 heures. Le directeur général de la RTI, Ahmadou Bakayoko, qui effectuait à ce moment-là un déplacement en Inde, a appris la nouvelle à l'atterrissage et a dû repartir dans la foulée. « Pour le moment, nous ne souhaitons pas nous exprimer, a-t-il expliqué à Jeune Afrique. Nous avons lancé un certain nombre d'enquêtes en interne pour comprendre ce qui s'est passé. » Le 17 mars, Lanciné Koné, le directeur de l'information, était suspendu. Puis, au sein de la RTI, les langues se sont déliées. Certains évoquent des consignes restrictives venues ce jour-là des autorités. Information démentie par Masséré Touré, directrice de la communication de la présidence.

  • Le drame pouvait-il être évité ?

« Les jihadistes sont en guerre contre l'humanité. Mais, en Afrique de l'Ouest, ils le sont particulièrement contre la France, explique un expert des questions terroristes dans la région. C'est une guerre totale contre celle-ci, donc ils l'attaquent partout où elle se trouve, là où elle a des intérêts. » Les autorités ivoiriennes n'ignoraient rien de tout cela. Une loi antiterroriste renforçant les pouvoirs de la police et des services de renseignements avait été votée en juillet 2015. Des mesures de sécurité avaient été prises aux abords des hôtels et des centres commerciaux d'Abidjan. Les préfets avaient été mis en état d'alerte. La formation des forces militaires à la riposte antiterroriste avait été accélérée. En moins d'un an, six tentatives d'attentats ont été déjouées et une dizaine de personnes interpellées le long de la lagune Ébrié, où des cellules dormantes liées au groupe Ansar Eddine ont par ailleurs été démantelées – ainsi qu'à Bouaké.

"Depuis plusieurs mois déjà et sur la base d'écoutes téléphoniques, les services français avaient prévenu les autorités ivoiriennes (tout comme les autorités sénégalaises) de la planification d'attaques dans des lieux publics"

Le reste du pays a-t-il bénéficié de la même vigilance que la capitale économique ? « Ils ont tapé là où nous étions le plus faibles », concède aujourd'hui un haut gradé ivoirien. Pourtant, depuis plusieurs mois déjà et sur la base d'écoutes téléphoniques, les services français avaient prévenu les autorités ivoiriennes (tout comme les autorités sénégalaises) de la planification d'attaques dans des lieux publics, et notamment sur des plages. « Je suis très inquiet, déclare aujourd'hui ce même haut gradé. Lorsque les terroristes arrivent à frapper une première fois dans un pays, il est très difficile de s'en débarrasser. C'est une gangrène. D'autre part, si la nationalité ivoirienne de l'un des tueurs était confirmée, cela signifierait que le travail des prédicateurs extrémistes est bien avancé. De quoi craindre la multiplication des cellules dormantes. »...

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