Depuis son exil, Dr Boga Sako : « Le pire est à craindre pour notre pays en octobre 2015 »


(Photo d'archives)
  • Source: L'Inter
  • Date: vend. 31 juil. 2015
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Enseignant-Chercheur à l'Université de Côte d'Ivoire, ex-membre de la Commission nationale des droits de l'Homme de Côte d'Ivoire (Cndhci) et président de la Fondation Ivoirienne pour Les Droits de l'Homme et la vie politique (Fidhop), Dr Boga Sako Gervais vit en exil depuis la fin de la crise post-électorale de 2011 en Côte d'Ivoire.

Dans cet entretien, cet activiste des droits de l'Homme explique son choix et se prononce sur la situation dans son pays.

 

Des Ivoiriens s'interrogent sur l'exil forcé que vous semblez vous êtes imposé alors que vous étiez un leader de la société civile supposé loin des chapelles politiciennes. Qu'est-ce qui explique votre présence à l'extérieur? 

Votre question suscite en moi une réponse à deux volets. D'un point de vue personnel, d'une part, et d'autre part, de façon générale. Partant du général d'abord, je vous dirais que personne ne peut s'imposer un exil. C'est très difficile l'exil. C'est une souffrance psychologique et morale au quotidien, même pour ceux qui auraient des centaines de milliards. C'est la raison pour laquelle le peuple de Côte d'Ivoire a exclu l'exil pour tout Ivoirien, dans l'article 12 de notre loi fondamentale du 1er août 2000 que je cite: «Aucun Ivoirien ne peut être contraint à l'exil ». Or, suite aux graves événements de la fin 2010 et début 2011, il faut admettre qu'une bonne partie des populations ivoiriennes s'est vu contrainte de s'enfuir en exil. Ce sont globalement des populations de l'Ouest et du Sud du pays, ou celles qui étaient proches ou partisanes du président Laurent Gbagbo, ou encore des personnalités ayant défendu la Constitution et les Institutions de la République, c'est-à-dire le verdict du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2010. Tel est mon cas. En ce qui me concerne donc personnellement, après mes prises de position fermes à la télévision et à la radio nationales, pour le respect de la Constitution du pays, et donc en faveur du président déclaré vainqueur par cette haute juridiction qu'est le Conseil constitutionnel, j'ai reçu toutes sortes de menaces contre ma personne, de la part de personnes se réclamant proches de l'autre candidat, M. Alassane Ouattara. Pour me démontrer leur détermination, elles ont attaqué et détruit mes bureaux de la Fidhop, à Cocody, à deux reprises, au cours du même mois de mars 2011, le 5 puis le 12 mars. C'est alors qu'il s'est imposé à moi de sortir du pays. Et là, ce fut un vrai miracle que le Divin a encore réalisé dans ma vie, mais je n'en parlerai pas aujourd'hui. Le 10 juin 2011, j'ai donc eu la grâce d'embarquer dans un avion pour l'Italie. Je remercie les autorités de ce pays, tant à Abidjan qu'en Italie. Lorsque je fus reçu à la commission des demandeurs d'asile de Milan, mon cas a été relativement facile à trancher, puisqu'ils ont vu que j'étais une personnalité publique, médiatique, engagée et que certaines menaces réelles existaient encore sur le net, avec les noms et contacts de leurs auteurs, en Côte d'Ivoire et hors du pays. C'est ainsi qu'on m'a accordé le statut de réfugié politique, pour une durée de cinq ans, renouvelable autant de fois. Et ce statut, le mien, est bien reconnu et très respecté partout où je voyage, dans toute l'Europe et aux Etats-Unis, avec un passeport international. Je bénis Dieu pour ma vie!

 

Quand comptez-vous revenir au pays et à quelle(s) condition(s)?

J'ai hâte de regagner mon pays. Les miens me manquent, surtout mes enfants, mais aussi mes étudiants et mes collègues de l'Université de Bouaké et des grandes écoles où j'intervenais. Si je devais poser des conditions, elles seraient d'ordre général et non personnel, car ce sont plusieurs milliers de filles et de fils du pays qui ont fui les violences, pour protéger leur vie. Si les autorités actuelles du pays souhaitent vraiment leur retour, il faut en créer les conditions, de façon globale et non au cas par cas, comme elles l'ont fait pour certains responsables du Fpi, pour les acheter. La suite, on la connaît. Il suffit de satisfaire deux exigences non négociables: l'une est de créer les vraies conditions de sécurité dans tout le pays, en désarmant tous les ex-rebelles, les milices dozos et autres; l'autre est de prévoir des mesures d'assistance matérielle et financière, pour toutes celles et tous ceux qui vont rentrer, car ils n'ont plus le minimum pour recommencer à vivre dignement. Il faudrait, enfin, s'appesantir sur les cas des élèves et étudiants, mais aussi les fonctionnaires ayant perdu toutes ces années en exil.

 

De l'extérieur, comment appréhendez-vous la situation post-crise et son évolution?

Il est vrai que je suis en exil en Europe, mais je suis jour après jour l'actualité socio-politique du pays, dont je continue d'être d'ailleurs un des acteurs. Et d'ici, j'ai le précieux avantage de m'exprimer librement, sans craindre pour ma vie, ou l'emprisonnement abusif, tel qu'on le constate encore en ces moments. Je voyage presque tous les week-ends, dans les grandes capitales européennes, Paris, Genève, Bruxelles, Rome, Milan, Hambourg, Copenhague, etc., et aux Etats-Unis, pour échanger avec toute la diaspora, au cours des conférences que nos compatriotes organisent et qu'ils m'invitent à animer. Je dois vous avouer, très franchement, qu'au regard de l'évolution de la situation en Côte d'Ivoire, le pire est à craindre pour notre pays en octobre 2015. Hélas!

 

Beaucoup pensent que la réconciliation a été un échec. Est-ce votre avis?

La réconciliation nationale est un échec en Côte d'Ivoire, et je ne suis pas le seul à le constater. Les Ivoiriens continuent de se méfier les uns des autres. Les pro-celui-ci et les pro-celui-là sont toujours sur leurs gardes. On a l'impression que chacun des camps se prépare depuis à d'autres affrontements. Les dirigeants actuels n'ont malheureusement pas réussi à désarmer les cœurs des populations. Et ce constat d'échec est éloquemment confirmé par l'ex-président de la commission de réconciliation, M. Charles Konan Banny lui-même, qui a avoué qu'il a été empêché par moments de remplir convenablement sa mission. Il a dit par exemple, qu'il n'aurait pas reçu l'autorisation du chef de l'Etat pour se rendre à la Haye, pour rendre visite au président Gbagbo. C'est dommage qu'il sorte ces vérités seulement maintenant, parce qu'il veut lui aussi se faire élire président. Je trouve cette démarche bien minable! Sinon, pour aller à une réconciliation vraie, d'abord il faut le vouloir, en faire donc une réelle volonté politique, et ensuite poser les actes qui réconcilient: libérer immédiatement tous les prisonniers politiques, en se penchant particulièrement sur les cas de Monsieur et Madame Gbagbo et de Blé Goudé. C'est encore possible. Ensuite, il faut faciliter le retour sécurisé et assisté de tous les exilés, sans chantage. Déjà ces deux mesures suffiraient pour rassurer tous les Ivoiriens. Le reste suivra.

 

En tant que juriste et spécialiste des droits de l'Homme, votre regard sur la situation actuelle, à 3 mois de nouvelles échéances électorales?

En ma qualité de militant des droits de l'Homme, je dirais que l'état des droits de l'Homme et de la démocratie est très préoccupant en ce moment en Côte d'Ivoire. En effet, jusqu'à ce que la coalition dite Cnc n'organise très récemment des rassemblements publics à Yopougon et à Koumassi, les libertés publiques étaient quasi-confisquées, en violation de l'article 11 de notre Constitution. Et on se demande pourquoi les arrestations arbitraires des leaders de l'opposition continuent. Après la vague des Moïse Lida Kouassi, Dogo Raphaël, a suivi celles des Assoa Adou, Danon Djédjé et Koua Justin; et maintenant, c'est celle de Nestor Dahi et de ses amis de la jeunesse du Fpi et de l'Ung. Tout cela n'est pas fait pour apaiser le climat socio-politique national. La Fidhop a toujours condamné, avec force, toutes ces arrestations, chaque fois qu'elles sont intervenues; et je les condamne encore aujourd'hui. De plus, en violation des textes en vigueur dans notre pays, ces personnes sont déportées hors de la juridiction où elles ont été arrêtées. Tout ceci nous éloigne de l'Etat de droit, et donc de la paix. En outre, la justice ivoirienne n'est pas rassurante, du point de vue de l'impartialité et de l'équité; pourtant, c'est le maillon essentiel de l'Etat de droit. Enfin, la question épineuse de la sécurité demeure sérieuse et inquiétante; avec les phénomènes de coupeurs de routes et les ''Microbes'', qui traumatisent les populations.

 

Des proches du président Ouattara, et non des moindres, viennent d'être inculpés par la justice pour des crimes commis pendant les événements de 2011. Quel commentaire ces procédures suscitent chez vous?

J'ai tout de suite envie de saluer le gouvernement Duncan, pour une rare fois depuis sa mise en place. Mais, je préfère être prudent et attendre de voir, car l'intellectuel que je suis s'interroge toujours. A la vérité, si je devrais applaudir l'ouverture de ces poursuites, c'est parce qu'elles font partie de l'ensemble des conditions à remplir pour soulager toutes les victimes des crises ivoiriennes successives et pour obtenir la paix, par la réconciliation. Et M. Ouattara et son régime auraient pu et auraient dû le faire depuis bien longtemps. Ce qui aurait, très tôt, désarmé les organisations nationales et internationales de défense des droits de l'Homme et la plupart des observateurs de la situation en Côte d'Ivoire, et surtout les « pro-Gbagbo », qui ont parlé de justice des vainqueurs. Pourquoi seulement maintenant ? Cependant, il nous faut attendre la fin des procédures judiciaires, qui viennent tout juste de s'ouvrir, avant de nous prononcer définitivement. Car, on se demande si cette justice ivoirienne pourra vraiment condamner les coupables du camp au pouvoir, comme elle l'a fait pour les leaders du régime déchu. On se demande aussi si ces procédures ne sont pas ouvertes, précisément par la justice ivoirienne, dans le but de couper l'herbe sous les pieds à la Cour pénale internationale, dont les mandats sont encore sous scellés. N'est-ce pas là une façon de se jouer de la Cpi ? Enfin, on se demande encore, si ce n'est pas fait pour servir d'argument de campagne au candidat déclaré à la prochaine présidentielle et investi par le Rdr et le Rhdp. Autant de questions toutes légitimes.

 

La Côte d'Ivoire vient d'adopter une loi sur la déclaration des biens, qui est entrée en vigueur. Que dites-vous de l'opportunité de ce texte?

En principe, c'est une très bonne disposition qui participe de la bonne gouvernance et de l'Etat de droit. Mais, il me semble bien ridicule de voter une telle mesure quasiment à la fin d'un mandat. Pourtant, après seulement deux années passées au pouvoir, le chef de l'Etat s'était déjà proclamé candidat à sa propre succession. C'est-à-dire qu'il n'avait même pas encore réalisé le dixième de son programme qu'il s'était déjà déclaré candidat. Et c'est à quelques mois des élections suivantes qu'il traite des vraies questions; c'est bien dommage! Mais, les Ivoiriens ne sont pas dupes!

 

Comment entrevoyez-vous l'approche et les pr&e (...)

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