Tiburce Koffi, journaliste-écrivain : « Alassane Ouattara est l'otage d'un groupe ethnique »


(Photo d'archives)
  • Source: L'Inter
  • Date: vend. 13 fév. 2015
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Son livre au titre révélateur, '' Non à l'appel de Daoukro '', lui a valu d'être relevé de ses fonctions de Directeur général de l'Institut national des arts et de l'action culturelle (Insaac).

Dans cet entretien exclusif réalisé via internet, le journaliste-écrivain Tiburce Koffi s'explique sur les circonstances de son limogeage. Il assène, par ailleurs, ses vérités au régime Ouattara, à Konan Bédié et dit craindre pour les élections de 2015.

 

Que faites-vous exactement aux États-Unis ?

Je me repose. Le repos du guerrier et du fugitif ! Ça, c'est pour rire. En fait, la fin de l'année est pratiquement la seule occasion que j'ai pour voir ma famille : mon épouse et nos enfants. Ils y résident. Depuis près d'une dizaine d'années, nous vivons comme cela. C'est devenu presqu'un rituel.

 

Ce départ a si bien coïncidé avec votre limogeage que certains l'ont assimilé à une fuite, de peur des représailles liées à la sortie de votre livre intitulé : '' Non à l'appel de Daoukro ''. Qu'en dites-vous ?

Vous voyez vous-même que c'est faux. C'est bien plutôt mon limogeage qui a tellement bien coïncidé avec mon absence, qu'il peut paraître suspect. On aurait pu attendre mon retour de voyage pour en envisager l'application, ne serait-ce que pour faire une passation des charges dans les règles. Où était l'urgence ? On aurait pu m'adresser une demande d'explication, m'entendre, me donner même un avertissement, s'il était établi que j'étais en faute.

 

Vous estimez donc que vous n'êtes pas en faute ?

Non. Mais alors, pas du tout. C'est bien plutôt le pouvoir qui est en faute vis-à-vis de moi. Ce qu'ils viennent de faire s'appelle, tout gravement, un abus de pouvoir. L'Appel de Daoukro n'est pas une décision gouvernementale, ni administrative. Il n'y a aucune note de service, aucune recommandation, aucune consigne administrative demandant aux directeurs centraux et généraux de l'Administration de veiller au respect et à l'application de cet appel qui n'est que le point de vue d'un individu. Monsieur Konan Bédié n'a même pas signé ce texte au titre de président du Pdci-Rda. Il l'a plutôt signé et bien précisé, à titre individuel, personnel. En quoi le fait que le citoyen Tiburce Koffi, écrivain de son pays, lui porte, à ce titre, la contradiction, est-il une faute administrative ? M. Bédié n'est pas le chef de l'Administration ivoirienne ; il n'est pas mon supérieur hiérarchique. Je ne travaille pas sous ses ordres. Et il ne s'agit pas d'une affaire relevant du ministère de la culture, ni de l'Etat. Il s'agit de l'Appel de Daoukro et non de l'Appel de Kong, ni même de l'Appel de l'Etat de Côte d'Ivoire'' ou du gouvernement. Encore moins une annexe de la Constitution ivoirienne. Où est donc le problème ? Franchement, je ne comprends rien à cette affaire !

 

Avez-vous déposé une plainte contre la décision du ministre ?

Non. Ça n'en vaut pas la peine. Bandaman ne peut pas me limoger, il n'en a pas les compétences, puisque ce n'est pas lui qui m'a nommé à ce poste. C'est le président de la République qui m'a demandé, par l'intercession d'un ministre qui lui est très proche, d'occuper ce poste, avec la recommandation suivante: réveiller cet établissement qui était en train de mourir ; ressusciter la belle époque de l'Ina des Bitty Moro, Christian Lattier, Boncana Maïga. Il m'a été cependant suggéré de laisser Bandaman, à qui ordre a été donné de m'informer de cette nomination, croire que c'était lui qui me proposait à ce poste. Et cela, par courtoisie envers le ministre de la Culture qu'il est. Et j'ai bien joué le jeu. Il a dû d'ailleurs s'en douter puisque j'avais déjà eu à refuser des postes, au sein de son cabinet, qu'il m'avait proposés. Je lui avais même présenté le Pr Armand Goran, un de mes protégés ; et je lui ai demandé de le nommer à la tête de l'Insaac. Et il avait accepté. Et c'est quelques jours après, deux ou trois, je crois, que j'ai été appelé de la Présidence pour aller diriger l'Insaac. Je n'ai donc pas été demandeur. Pour être franc envers vous, j'ai accepté ce poste par respect pour le président de la République; sinon l'Insaac ne m'apportait rien sur le double plan administratif et financier. Bien au contraire, je rétrogradais. En acceptant ce poste, je faisais un sacrifice pour mon pays car j'étais dans les possibilités d'obtenir un poste d'enseignant aux Usa où je m'apprêtais d'ailleurs à aller quand il y a eu cet appel de la Présidence qui a tout remis en cause. Venance Konan pourrait en témoigner, lui qui a assisté aux conditions de ma nomination, et qui savait que je préparais mon départ. Il l'aurait même signifié au chef de l'Etat ce jour-là. Mais il me fallait me soumettre à l'ordre du premier magistrat de mon pays et relever le challenge de l'Insaac. Et je crois, sans forfanterie, l'avoir fait.

 

Si donc il n'y a pas de faute, quelle serait alors la raison de votre limogeage ?

Qui, au ministère de la Culture, avait-il intérêt à profiter de ce livre pour me liquider ? Ce Tiburce Koffi dont on parlait trop dans les milieux des gens de la Culture et des Arts. Ce Tiburce dont même le chef de l'Etat était content du travail qu'il était en train d'abattre à la tête de l'Insaac ! L'année d'avant, j'ai été décoré Officier dans l'Ordre du Mérite culturel ivoirien. C'était la deuxième médaille que mon pays m'attribuait pour le travail accompli dans le domaine des Arts et de la Culture. Enfin, ce Tiburce Koffi qui, à la fin de chaque année académique et administrative, recevait les félicitations de tous, jusque du Conseil de gestion qui n'a jamais tari d'éloges sur la qualité du travail réalisé en si peu de temps et avec si peu de moyens. A qui profitait donc ce crime rapide, louche et mesquin ? Mais il n'y a pas de crime parfait. Et, sous peu, l'étau va se resserrer autour du criminel car, j'en suis convaincu, le chef de l'Etat se rendra compte qu'il a été induit en erreur ! Mon livre, à maints passages, dit mon admiration pour le président Ouattara et indique mon soutien à son action. Et, je crois que cela n'a pas plu à certains louangeurs professionnels qui veulent avoir le monopole des propos plaisants à tenir à l'endroit du chef. Ce livre dit Non à Henri Konan Bédié ; il ne dit pas Non à Alassane Ouattara. Comment donc le président Ouattara peut-il en arriver à se fâcher contre un livre en sa faveur ? Ce n'est pas clair, ça. C'est louche !

 

C'est là aussi qu'il devient difficile de vous suivre. En même temps que vous affirmez votre soutien au président Ouattara pour la qualité du travail accompli, vous ne voulez pas qu'il soit candidat. C'est contradictoire n'est-ce pas ?

Je n'ai jamais dit que je refuse que le président Ouattara soit candidat. Relisez bien mon livre. Ensuite, qui vous a dit qu'un chef doit forcément chercher à être reconduit à son poste pour avoir bien travaillé ? Moi qui viens d'être démis de mes fonctions, ai-je mal travaillé ? Ai-je cherché à me maintenir, à tous les prix, à la tête de l'Insaac ? N'est-ce pas ce même gouvernement qui m'a toujours félicité, qui m'a dégommé ? Nelson Mandela, qui ne s'est contenté que d'un seul mandat, avait-il mal travaillé ? Les Sud-africains étaient-ils mécontents de lui ? Je suis convaincu que Laurent Gbagbo et son régime n'ont pas bien travaillé. Mais, je vous le dis aujourd'hui : si on libère actuellement Gbagbo et qu'il se présente à la prochaine élection, il remportera tous les suffrages. Il battra aisément Ouattara, Essy Amara, Charles Konan Banny et tous les autres ! Savez-vous pourquoi ? Parce que cet homme a su toucher le cœur des Ivoiriens, et les pauvres l'ont compris et aimé. L'histoire d'un pays ne se limite pas à l'accumulation de béton le long des routes. La construction d'une nation n'est pas réductible à la réalisation de ponts et de routes. Je reviendrai plus tard sur ces questions que je suis en train de développer en ce moment dans un livre que je publierai bientôt.

 

Vous avez quand même émis le souhait qu'il ne fasse pas acte de candidature.

Oui. Une idée folle, audacieuse, mais juste, comme un rêve de poète. Alassane Ouattara a fait ce qu'il pouvait pour la Côte d'Ivoire. Il a mené des combats durs et justes. Il a réalisé des choses qui légitiment ces combats. Mais, sa mission s'arrête là. S'il va au-delà, il va gâcher la belle épopée qu'il vient d'écrire. Aujourd'hui, il n'est plus, en réalité, le chef d'Etat de Côte d'Ivoire. Il est l'otage d'un groupe ethnique (les gens du Nord), l'otage d'un clan politique (l'aile bédiéiste du Pdci-Rda), l'otage de puissants groupes financiers (Fmi, milliardaires africains et autres bailleurs de fonds). En toute chose, il faut savoir partir. Partir au moment où on vous aime. C'est ce qu'ont fait des gens comme Laurent Pokou, Eric Cantonna, Didier Drogba. Les chefs d'Etat africains ne savent pas sortir grandis de l'Histoire. Houphouët-Boigny a commis l'erreur d'être resté trop longtemps au pouvoir. Alassane, Bédié et Gbagbo sont responsables du fleuve de sang qui a souillé la terre de ce pays. Ils ont, tous les trois, goûté à la mamelle du pouvoir. Mais, leur temps est fini. Je souhaiterais qu'ils le comprennent et qu'ils se retirent à présent, tous. Pour nous permettre de respirer un peu. En paix. Ce sont des gens à palabres. C'est pourquoi je les appelle « Le trio infernal ». 

 

Comment avez-vous accueilli votre limogeage ?

Franchement, dans l'indifférence totale ! Sinon avec un soupir de soulagement. J'en avais déjà discuté avec Bandaman, et je lui ai dit clairement que je ne regrettais aucun mot, aucune virgule de ce texte, et que j'en assumerais toutes les conséquences. Je dois vous l'avouer aussi : je n'avais plus envie de continuer à la tête de l'Institut. Faites-y un tour, donnez la parole à mes collaborateurs, aux enseignants et aux gens de l'administration les plus proches de moi : je leur avais annoncé mon intention et même la décision que j'avais prise, de partir. Et, ils savaient tous que je préparais mon départ. Croyez-moi, je ne pouvais pas avoir meilleur départ que celui-là, de l'Insaac. Bandaman a réussi à faire de moi un héros, un « martyr de la dictature d'un régime », un écrivain persécuté ; tandis que de lui, l'histoire retiendra l'image, disqualifiée, d'un djihadiste des lettres.   

 

Et si on vous demandait de revenir à la tête de l'Insaac ?

Ce serait franchement me punir que de me demander ça ! Le président ne peut pas me faire ça. Quand même !!! Quel mal aurais-je fait à la République pour qu'il m'inflige un tel supplice ?

 

Vous avez annoncé récemment votre intention de rentrer au pays, malgré les menaces qui seraient proférées contre votre personne. Qui pourrait vous menacer ? Et à quand votre retour ?

En fait, les menaces, on en reçoit toujours, surtout dès que vous osez prendre position dans le débat politique. J'en recevais sous le régime de Laurent Gbagbo. J'en ai reçu dans le cadre du scandale et de la panique qu'a provoqués mon livre. Juste un petit livre de 120 pages ! Et ça met en branle tout un régime ! Non, je ne crois pas que ces menaces puissent venir de nos dirigeants. Le président Ouattara et son gouvernement au sein duquel je compte d'ailleurs de nombreux parents et amis, ont franchement mieux à faire que de chercher à m'occire pour un livre !!! Et qu'y gagneraient-ils d'ailleurs ? Rien. Mais il n'est pas exclu qu'un fanatique pose un acte incontrôlé. Et c'est cela le risque et les dangers que génèrent les régimes qui se sont fait remarquer et imposer par la culture de la violence. Aventurez-vous un peu sur les réseaux sociaux, et vous réaliserez combien nous sommes devenus sourds les uns aux autres : injures gratuites, menaces, réflexions de bas étages et d'un niveau de crétinisme inouï : voilà où en est la société ivoirienne aujourd'hui. Et c'est la faute de ce régime.

 

Où est la responsabilité du régime dans cette situation ?

Il s'est montré incapable de créer un climat de confiance et de sécurité mentale et psychologique. Dans ce pays, le débat ouvert, transparent et démocratique est interdit. Les intellectuels ont peur de parler, de donner un simple avis sur les problèmes sociaux et politiques. Mon cas en est une illustration. Qui me censure finalement ? Le ministre de la Culture ! Un écrivain. De surcroît, un des meilleurs de l'Afrique noire. Grand Prix littéraire, mérité, car oui, Bandaman est vraiment un écrivain. Lui et moi ne cessons de louer les mérites des écrivains engagés, surtout ceux du XVIII è et du XIX siècle français, qui sont nos modèles, et que nous avons enseignés aux élèves : Voltaire, Rousseau, Hugo, Zola ; et, tout proches de nous dans le temps, les écrivains de la Négritude : Césaire, Damas, Fanon. Et c'est ce Bandaman qui me pourfend, me chasse de l&rsquo (...)

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