Avant son déplacement dans la région du Boukani, le président du Front populaire ivoirien (Fpi) Pascal Affi N'Guessan s'est livré aux questions du quotidien burkinabé "Le pays". Dans cet entretien exclusif, l'ancien maire de Bongouanou parle de son séjour carcéral en passant par la réconciliation nationale, les relations avec le pouvoir ou encore la libération de son mentor, l'ex-président Laurent Gbagbo en prison à la Haye.
Le Pays: A vous voir, vous ressemblez à une personne qui respire la très grande forme, alors que nous savons que vous venez de sortir de prison où vous avez passé plus de deux ans.Pascal Affi N'Guessan : Grâce à Dieu, nous nous portons bien. Mais aussi, grâce à la famille, aux amis, aux connaissances et aux convictions politiques, parce que la prison, c'est aussi une question de moral, d'état d'esprit. Ainsi, nous avons pu garder le moral et je me porte assez bien.
Comment avez-vous retrouvé votre parti dès votre sortie de prison?
Nous avons retrouvé le parti dans le combat politique grâce à la dextérité, à l'engagement des camarades qui sont restés en liberté et ont animé la direction intérimaire. Les fondamentaux du parti ont été préservés et nous avons repris le flambeau pour qu'ensemble nous dynamisions davantage les structures tout en poursuivant la lutte pour les libertés, la dignité, la paix, la réconciliation dans notre pays.
Est-ce vrai tout ce qui a été dit sur votre séjour carcéral, à savoir les humiliations que vous auriez subies de même que vos camarades, de la part de vos geôliers?
Le fait de procéder à l'arrestation d'un ancien Premier ministre est déjà une forme d'humiliation, de même que sa déportation. On constate qu'il y a une volonté de nuire, d'anéantir. Cela s'est poursuivi dans les geôles du pouvoir. Nous avons été arrêtés dans des conditions dégradantes, déportés dans l'extrême-nord du pays, dans des conditions que je qualifierais de rocambolesques, et avons subi des sévices, des exactions. C'est aussi cela la réalité des systèmes qui s'installent dans la violence, qui refusent d'engager un jeu démocratique apaisé, et s'enferment dans une logique de dictature en espérant anéantir l'opposition politique pour gouverner sans contre-pouvoir. C'était cela l'ambition du régime, mais heureusement, la réalité est venue rappeler aux uns et aux autres que la Côte d'Ivoire et les Ivoiriens avaient changé, qu'ils avaient adhéré aux valeurs de la démocratie et des libertés. Ils ont montré qu'ils ne sont pas prêts à revenir en arrière, à reculer face à la tyrannie et à la dictature. Aujourd'hui, le régime est obligé de se rendre à l'évidence qu'il ne peut pas anéantir la démocratie et accepter que l'opposition incarnée par le FPI existe. Nous travaillons présentement à élargir le champ des libertés pour pouvoir nous exprimer librement, manifester et mener nos activités sans entraves. Ce n'est pas encore effectif, mais c'est l'objectif à court terme que nous nous sommes fixé.
Ressentez-vous de la rancune par rapport à ce que vous avez vécu ?
Non, aucunement, et je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, que nous mettons ces sévices et humiliations sur le compte de notre engagement pour la Côte d'Ivoire. Nous n'avons aucune rancune ni volonté de revanche, parce que cela ne serait pas dans l'intérêt du pays, ni de la réconciliation nationale. Nous sommes engagés dans le processus de réconciliation, et cela exige que nous fassions preuve de dépassement, que nous ayons une capacité de pardon.
Ne craignez-vous pas de retourner en prison, puisque dès votre sortie, vous tenez des propos que les observateurs de la scène politique ivoirienne qualifient de provocateurs vis-à -vis du pouvoir, alors que vous êtes en liberté provisoire?
Je considère mon arrestation et ma détention en prison comme un acte politique, de même que ma sortie de prison, qui signifie que ceux qui m'ont mis en prison ont bien compris que ce n'était pas là que se trouvait leur intérêt ni celui de la Côte d'Ivoire, et que ma place n'était pas en prison, mais dehors. Une fois dehors, je continue mon travail parce que, dans la vie politique, chacun doit faire le sien. Nous sommes aujourd'hui dans l'opposition et le rôle de celle-ci est d'être un contre-pouvoir, une force de critique et de contre- proposition. C'est ce que ne souhaitent pas ceux qui sont au pouvoir, mais c'est ce que nous devons instaurer. Nous comprenons que certains assimilent ces critiques et contre-propositions à des choses inacceptables, mais c'est ce que nous allons faire parce que c'est le rôle que nous avons accepté de jouer, et nous le jouons franchement. Nous n'insultons, ni n'injurions personne, mais nous faisons notre part du travail et il appartient aux autres d'en faire la leur. J'espère qu'ils la feront dans le respect des libertés et des droits, notamment ceux de l'opposition. S'ils sont sincères dans leur volonté de gouverner conformément aux valeurs de la démocratie et des libertés, logiquement ils devraient nous laisser nous exprimer librement, parce que c'est dans l'intérêt de la Côte d'Ivoire qu'il y ait une opposition forte qui dénonce les travers du régime et l'amène à rectifier le tir.
Pour certains, vos discours ne sont pas favorables à une véritable réconciliation prônée par le pouvoir en place.
Je crois que c'est le contraire, parce qu'aujourd'hui, nous sommes la seule formation politique qui fait des propositions concrètes en matière de réconciliation. Nous avons beaucoup entendu parler en Côte d'Ivoire de réconciliation, et il y a même une Commission dialogue, vérité, réconciliation (CDVR) qui a été mise en place depuis 2011. Elle vient de rendre ses conclusions, puisqu'elle avait été mise en place pour deux ans, mais la réconciliation nationale est au point mort. Cela veut dire que rien n'a bougé, que le pays reste divisé et les problèmes politiques restent entiers. Face à cet échec et à cette impasse, le Front populaire ivoirien vient de faire des propositions précises que nous avons baptisées « les états généraux de la république ».
Nous demandons, à travers ces états généraux, que le pouvoir organise le rassemblement de toutes les forces vives de la nation pour parler des questions qui divisent l'ensemble des Ivoiriens, afin que nous trouvions des solutions consensuelles qui puissent permettre de normaliser la situation politique et sociale et ensuite, de fonder un nouveau contrat social pour la paix et la stabilité. Nous avons transmis le document au gouvernement, à toutes les forces nationales, aux représentations diplomatiques et nous sommes dans la phase de promotion de cette initiative.
Aujourd'hui, notre parti est le seul à avoir fait des propositions concrètes. Le pouvoir parle de réconciliation, mais pour le moment sans contenu, sans procédure, sans démarche précises qui puissent nous permettre de savoir que nous sommes sur la voie de la réconciliation. Nous avons intérêt à la réconciliation parce que cela est nécessaire pour permettre au pays de tourner la page de toutes les violences que nous avons connues ces vingt dernières années. Notre constat est que ces violences et affrontements n'ont pas servi les intérêts du pays. Au contraire, la pauvreté que nous vivons aujourd'hui, les difficultés de toute nature, résultent de cette instabilité qui devient endémique.
Nous ne pouvons pas nous en sortir en menant la politique de poursuites judiciaires d'un camp, de justice à sens unique, de justice des vainqueurs que le pouvoir mène actuellement et qui ne peuvent qu'accumuler les frustrations et créer les germes d'explosions futures. Si nous voulons sortir de ce cycle de violences et d'instabilité, il faut s'asseoir ensemble et se parler. On ne peut pas le faire si les partisans d'un camp sont en prison, contraints à l'exil, traqués, voire leurs domiciles occupés, leurs biens confisqués, leurs comptes gelés. Il faut résoudre tous ces problèmes, et si on est vraiment sincère dans la volonté de réconciliation nationale, il faut en créer les conditions. C'est ce que nous mettons dans le dialogue politique avec le gouvernement.
Nous insistons pour que celui-ci se tienne de façon franche et sincère, pour qu'une fois les conséquences de la crise résolues, que l'environnement sociopolitique aura été apaisé, nous nous concentrions sur les causes réelles des crises en Côte d'Ivoire, à savoir la question de l'éligibilité à la présidence de la République qui a divisé le pays pendant de nombreuses années. Même l'élection de 2010 s'est faite sans application de ces dispositions de la constitution qui faisaient l'objet de controverses. Comment ferons-nous pour nous donner une nouvelle constitution conforme à la volonté de tous ? La question de la nationalité divise également, de même que celle du foncier rural.
Quelle est la réaction du pouvoir en place suite à votre proposition ?
A l'heure actuelle, nous attendons officiellement une réaction. Dans ce cadre, nous avons sollicité une rencontre avec le parti au pouvoir, le RDR en particulier, ensuite le PDCI/RDA, comme nous l'avons déjà fait avec plusieurs partis proches de nous pour faire connaître le contenu de nos propositions. Nous pensons que c'est une proposition qui est dans l'intérêt de toute la Côte d'Ivoire.
N'est-ce pas demander trop en exigeant la libération du président Laurent Gbagbo actuellement à la CPI
Le problème n'est pas de savoir si nous demandons trop ou pas assez. Il s'agit de savoir si c'est légitime ou pas. Nous considérons que c'est légitime de notre part pour plusieurs raisons. La première est que la CPI elle-même, à l'issue de l'audience de confirmation ou d'infirmation des charges, a conclu qu'il n'y avait pas d'éléments substantiels pouvant donner à croire que l'ex-Président Laurent Gbagbo a commis des crimes qui lui sont imputés.
Nous disons que s'il n'y a pas d'éléments, il faut libérer Laurent Gbagbo, parce qu'on ne peut pas maintenir une personne en prison alors qu'on n'a pas d'éléments substantiels prouvant qu'elle a commis des crimes. Si la CPI ne le libère pas, c'est comme si elle se rendait complice d'un complot visant un adversaire politique. Une autre raison, c'est que le pouvoir refuse une justice internationale impartiale, puisque l'ex- Président Laurent Gbagbo n'est pas le seul sur la liste des personnes faisant l'objet de poursuites par la CPI. Il a même décidé dernièrement de ne plus coopérer avec la CPI et de ne plus livrer d'Ivoiriens où qui que ce soit. Maintenant que le pouvoir s'est débarrassé de Laurent Gbagbo, il veut arrêter les procédures pour éviter à ses partisans de comparaître devant cette juridiction, et si la CPI ne le relâche pas, elle se rendrait complice de la justice des vainqueurs. Et si nous sommes dans la logique de la réconciliation nationale, elle ne peut pas se faire sans la présence d'un acteur aussi essentiel que l'ex-président Laurent Gbagbo qui a géré le pays et est impli (...)
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