À Kong, capitale d'un empire aujourd'hui disparu, la famille du président règne en maître. Ses membres y remportent toutes les élections. Et gare à ceux qui voudraient sortir du rang.
Babakary Ouattara se désespère encore du non de ses aïeux. Au début du siècle dernier, «les vieux» ont refusé que le train des colons passe par Kong. C'était trop neuf, trop inconnu. À l'époque, on ne contrariait pas les puissants habitants de la ville : le cheÂmin de fer a donc été construit à 90 km plus à l'ouest, à Ferkessédougou. C'est là désormais que se tient le marché, que se construisent des immeubles, que passent les camions et que s'arrête le bitume.
Pour aller à Kong, il faut encore deux bonnes heures sur une piste de latérite cahoteuse. La route est déserte : plus perÂsonne, ou presque, ne se rend dans ces confins du grand Nord ivoirien. La capitale de l'ancien empire de Kong est devenue une petite bourgade endormie de quelques milliers d'âmes. Seules ses deux mosquées soudanaises en pisé rappellent sa granÂdeur passée. Difficile d'imaginer que, au XVIIe siècle, son fondateur, l'intraitable Sékou Ouattara, régnait sur un territoire qui s'étendait jusqu'à l'actuel Burkina Faso et sur une partie du Mali.
Des allures de fan-club
La fierté n'a pourtant pas quitté ses habiÂtants : c'est bien un descendant du roi Sékou qui dirige aujourd'hui le pays. « On savait qu'un jour Alassane arriverait à la tête de l'État. Il était fait pour ça. De tout temps, les Ouattara sont nés pour gouverÂner », assure Fabakary, le chef du village.
Sur une affiche de campagne jaunie par le soleil, le président pose en grand forÂmat à l'entrée du bourg. Le siège de son parti, le Rassemblement des républicains (Rdr), trône au milieu de la rue princiÂpale. Il n'y a d'ailleurs pas d'autre formaÂtion politique officiellement représentée ici. Chez la plupart des habitants, on trouve une collection de photos : Alassane avec sa femme Dominique, Alassane avec son grand frère, Gaoussou, Alassane en campagne, Alassane en meeting ... Kong a des allures de fan-club. Il faut dire que les trois quarts de ses habitants s'appellent Ouattara.
À la radio, on a bien entendu qu'un vent de contestation soufflait depuis 2017 sur le pouvoir ivoirien. Il y a eu les mutineries des anciens rebelles intégrés dans l'armée, les grèves de fonctionnaires et, désormais, les difficultés politiques qui s'amoncellent. Après des mois de tensions, Henri Konan Bédié, le patron du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (Pdci), a choisi de claquer la porte de la coalition présidentielle. Lors des élections municipales et régionales du 13 octobre, la bataille entre les deux anciens alliés a été féroce dans de nomÂbreuses localités.
Mais la capitale des Ouattara est à l'abri de ce genre de tempêtes. Il n'y avait qu'une seule liste, évidemment aux couleurs de la majorité et conduite par un proche du président, Berté Abdrahamane Tiémoko. C'est ainsi depuis trente ans, les Ouattara règnent ici en maîtres. Aux législatives de 2016, Téné Birahima Ouattara avait recueilli 99,76 % des suffrages. Lors de la dernière élection présidentielle, en 2015, seuls 15 bulletins sur 14438 ne désignaient pas Alassane Ouattara.
« Recueillir une seule voix contre les Ouattara, c'est déjà un exploit », se félicite Anzoumana Ouattara. Le vieil homme vit à Lassana, un petit village situé à 22 km de Kong. Lui aussi est un descendant du mythique Sekou Ouattara, mais il a
toujours été un militant du Front popuÂlaire ivoirien (Fpi), le parti de l'opposant Laurent Gbagbo. « Mille fois, mes parents m'ont demandé de quitter le Fpi. Mais que voulez-vous? Je suis socialiste! » expliqueÂ-t-il. Anzoumana a connu les insultes et les intimidations, les mesquineries et les coups bas, comme lorsqu'on lui a abîmé sa moto il y a quelques années. Il se souvient de la défaite historique de Gaoussou aux législatives de 1990, de Basalia Ouattara, l'homme qui avait créé une éphémère antenne du Fpi à Kong dans les mêmes années, ou, plus récemment, de Seydou Ouattara, un autre opposant... Ils sont si peu nombreux. « Dans la région, des gens sont contre le Rdr, mais ils ont peur. Les fonctionnaires me disent qu'ils craignent de perdre leur travail, les agriculteurs, qu'ils redoutent les représailles ... Je ne parviens pas à les rassurer. »
Souvenir amer
Ni le président Ouattara ni ses frères et sÅ“urs ne sont pourtant nés dans le village paternel. C'est Gaoussou, le grand frère du président, qui, le premier, est revenu sur ces terres. Cadre du Pdci puis fondaÂteur du Rdr, ce « baobab» de la politique ivoirienne a été le premier maire de Kong. Sans difficulté, il a fait adouber son petit frère. Ex-haut cadre international marié à une Blanche, Alassane n'était pas vraiÂment imprégné des coutumes de cette terre empreinte de mysticisme, raconte-Ât-on à Kong, mais qu'importe. « On savait bien qu'il n'avait pas grandi là , mais c'est notre enfant. Alors quand, en 1995, Bédié a inventé l'ivoirité et qu'Alassane a été exclu de la présidentielle, c'est comme si on nous avait tous reniés », s'indigne Fabakary.
Les habitants de Kong gardent un souÂvenir amer et quelques rancÅ“urs de ces années de braise. Sous Laurent Gbagbo, ils ont ensuite subi privations et représailles. Les maîtres d'école sont partis, l'eau, l'élecÂtricité étaient parfois coupées plusieurs mois d'affilée. « Ils voulaient nous punir, Kong avait été jeté aux oubliettes », pourÂsuit le notable.
Alors depuis la victoire (...)
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