Présidentielle 2015 / Interview : Les trois principales choses que Mamadou Koulibaly compte faire, s'il est élu président...


Mamadou Koulibaly, président de Lider et candidat à la présidentielle de 2015. (Photo d'archives)
  • Source: linfodrome.com
  • Date: jeu. 23 juil. 2015
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Professeur d'économie et homme politique, âgé de 58 ans, cet ancien ministre de l'Economie et des Finances et président de l'Assemblée nationale (2001-2012) de Côte d'Ivoire a quitté le Front populaire ivoirien pour fonder en 2011 le parti Liberté et Démocratie pour la République (LIDER), d'obédience libérale. Connu pour ses prises de positions contre le franc cfa, il a publié plusieurs ouvrages, dont Souveraineté monétaire des pays africains (L'Harmattan, Paris, 2009).

Pourquoi les régimes ivoiriens n'ont pas retiré de la Constitution les articles qui sont source de conflit – notamment l'article 35, qui fixe une limite d'âge à la fonction présidentielle ? Cet article peut-il être la cause d'une nouvelle crise ?

Mamadou Koulibaly – Personne ne veut toucher à la Constitution de 2000 parce qu'elle est présidentialiste. Elle donne au détenteur du pouvoir les moyens de régner comme Obama, Hollande, Ben Ali et Kadhafi, en y ajoutant les pouvoirs du Pape ! Quand le président élu arrive dans son fauteuil, il se rend compte qu'il est le patron de l'armée, de la justice, du Parlement – bref, le patron de tout. Il finit par se dire : «Cette Constitution est peut-être mauvaise dans les mains de mes adversaires, mais pour moi elle est bonne. Je suis un roi, je règne».

Il n'est plus possible d'évoquer l'article 35 pour aller en crise. Dans l'entourage de l'actuel président Alassane Dramane Ouattara, certains aimeraient sans doute voir cette question revenir pour l'exploiter comme un fonds de commerce. Dès qu'on touche aux questions de nationalité du président, d'ivoirité, les populations nordistes et musulmanes de Côte d'Ivoire, comme la communauté internationale, réagissent automatiquement contre le retour de la xénophobie. Ce discours est très favorable à Ouattara, car les gens à Korhogo, au Mali, au Burkina et au Niger vont de nouveau s'identifier à lui, pour se coaliser autour de Ouattara alors que son bilan est mauvais. A mon avis, c'est un faux débat. Le scrutin présidentiel de 2010 avait un caractère référendaire : oui ou non, Ouattara pouvait-il être candidat ? Les gens ont répondu oui. Il a gagné, toutes les conditions ont été réunies pour qu'il soit président. C'est fini. Inutile de revenir là-dessus.

Le problème de la constitution est récurrent sur tout le continent à l'exception de l'Afrique du Sud. Qu'est-ce qui ne fonctionne pas ?

M.K. – La faute est le design institutionnel, parce que nous avons presque tous recopié, d'une façon ou d'une autre, le modèle constitutionnel de la Ve République française, qui avait été taillé pour le général De Gaulle. Cette Constitution peut pencher vers un régime parlementaire en cas de cohabitation, ou vers un régime présidentiel fort en cas de majorité claire à l'Assemblée nationale. Il fonctionne en France en raison des contre-pouvoirs exercés par la justice, la presse, l'opinion publique, les élites intellectuelles et commerciales. Hormis l'Afrique du Sud, le Cap Vert, l'Ile Maurice et peut-être le Botswana, les régimes parlementaires s'avèrent totalement négligés sur le continent. Les régimes présidentiels, en revanche, s'avèrent présidentiels à l'extrême : au lieu de limiter les compétences de l'exécutif, les constitutions en Afrique lui donnent au contraire des pouvoirs exorbitants.

Les pouvoirs chargés de contrôler l'action gouvernementale se trouvent sous l'autorité du président de la République. Tout se passe comme si l'inspecteur de l'école primaire était soumis au pouvoir de l'instituteur, qui se comporterait comme son supérieur ! Les parlements ne peuvent donc pas faire leur travail. Le détenteur du pouvoir finit par se rendre compte qu'il est un demi-Dieu. Pourquoi y renoncer ? Les crises continuent, les dirigeants ont envie de s'éterniser…. Les constitutions qui limitent les mandats présidentiels successifs donnent au président le pouvoir de faire sauter ces limitations de gré ou de force.

Le tribalisme vient renforcer ces pouvoirs présidentiels forts. Une fois qu'on est en place, à défaut d'avoir un programme, une doctrine, une idéologie, une vision forte de l'avenir du pays, on se dit : «Je reste, mon soutien sera mon village, ma région, mon ethnie, ma tribu. Si ces gens sont avec moi, on peut utiliser les fonds de l'État pour corrompre les autres groupes ethniques, on achète les leaders d'opinion des autres groupes». On nomme untel qui est du nord, untel de l'est et untel du sud, et le tour est joué. C'est ce qu'on appelle en Afrique la «géopolitique», alors qu'il s'agit de gestion tribaliste du pouvoir. La constitution est considérée comme un simple document et non comme un engagement.

La chute de Blaise Compaoré donne-t-elle un autre signal ?

M.K. – Non, je ne le pense pas. Dans chaque pays, les gens se considèrent comme des exceptions. Alassane Dramane Ouattara se dit par exemple que c'est arrivé au Burkina Faso, mais que la même chose ne peut pas se produire en Côte d'Ivoire. Au Togo aussi, on se pense différent. Dans l'esprit des gouvernants, ce n'est pas la nature de l'état de droit qui se trouve en question, mais la nature du territoire ou des populations. Or, c'est bien l'état de droit qui fait totalement défaut !

Existe-t-il un problème plus culturel de rapport au pouvoir ou au chef en Afrique ?

M.K. – C'est vrai, notre relation au pouvoir plonge dans des racines très anciennes, tribales ou ethniques. Selon les régions d'Afrique, il faut cependant souligner que le pouvoir n'est pas de même nature. Des peuples élisent leurs chefs tribaux, d'autres choisissent le meilleur chanteur, le meilleur lutteur ou le meilleur guerrier. D'autres suivent des dynasties de père en fils. La période coloniale a laissé derrière elle des pouvoirs modernes qui ressemblent à des copies de l'autorité coloniale. Les régimes post coloniaux ont conservé le comportement du commandant qui tient le bâton et avec qui l'on ne discute pas. Le chef se doit de brimer les autres ! De leur côté, les populations voient leurs élus non pas comme leurs serviteurs, mais comme leurs chefs. Un président de la République, un maire ou un député n'est pas perçu comme servant l'État. Personne n'a de compte à lui demander, et il n'a pas de comptes à rendre.

Des exemples en Afrique s'en éloignent, pourtant, comme le Cap-Vert, la Tanzanie ou le Sénégal?

M.K. – Ajoutons le Kenya et l'Afrique du Sud… Les régimes où les choses se passent mieux sont parlementaires. D'où mon plaidoyer, qui consiste à aller vers le parlementarisme. Chaque fois qu'un régime va vers ce modèle avec des scrutins majoritaires à un tour, les situations se stabilisent. Les régimes présidentialistes provoquent des périodes de turbulences autour des successions ou des alternances.

Si j'ai la possibilité de diriger la Côte d'Ivoire, l'une de mes premières réformes consistera à modifier la constitution pour limiter les pouvoirs du président, ne plus faire qu'une élection avec une majorité au parlement qui désigne le président ou le premier ministre. En temps réel, on surveille l'exercice du pouvoir, sans attendre cinq ans avant de laisser les pouvoirs trafiquer les listes électorales ou distribuer des t-shirts pour se maintenir en place.

Laurent Gbagbo disait que la Côte d'Ivoire aurait un jour deux grands partis de droite et de gauche. Faut-il le souhaiter ?

M.K. – La bipolarisation résulte des régimes parlementaires. Au bout de deux ou trois élections, on parvient à voir se dégager deux tendances claires, avec un parti au pouvoir et un parti d'opposition. La majorité doit rendre compte, comme dans le système britannique et le système du Congrès aux États-Unis. Le Ghana dispose d'un mix de parlementarisme et de présidentialisme : le président de la République est élu, les députés le sont quasiment avec lui, et le chef de l'État rend compte au parlement. Ce n'est pas le régime britannique, mais c'est mieux que le régime présidentiel ivoirien.

Avec la limite d'âge des présidentiables, toute une génération va-t-elle quitter la scène politique ? Où vous situez-vous sur cet échiquier ?

M.K. – Ouattara a déclaré à San Pedro en avril, que s'il gagnait la présidentielle de 2015, il modifierait la constitution pour enlever des éléments dont on pourrait se passer. Dans l'article 35, les éléments qui pourraient le gêner ne sont plus la question de la nationalité ou de son éligibilité, mais deux autres volets, la limite d'âge et la limitation des mandats. Le premier alinéa de l'article 35 dit que le président doit faire seulement deux mandats et qu'il ne doit pas avoir plus de 75 ans. S'il fait sauter ces deux verrous, Alassane Dramane Ouattara ne le fera pas pour les générations futures mais pour lui-même, de manière à se représenter en 2020. Pour les nouvelles générations, le combat commence maintenant. La transition doit se faire en douceur. D'où l'importance du contrôle et de la limitation du pouvoir.

Sur le plan économique, quel est votre programme ? Vous êtes connu pour vos positions critiques à l'égard du franc cfa…

M.K. – Dans les grandes lignes, je rêve d'une Côte d'Ivoire débarrassée des monopoles, qu'il s'agisse de l'eau, de l'électricité ou des produits pétroliers. Une seule raffinerie traite le brut et le vend à des compagnies locales qui ne se trouvent pas en compétition. La baisse ou la hausse des cours du pétrole n'ont pas d'impact sur les prix… La Côte d'Ivoire maintient des droits de douane de 48 % sur les panneaux solaires alors que l'Europe, la Chine et l'Allemagne en produisent à bon marché.

Mon second combat porte sur la résolution des questions foncières, qui se trouve à l'origine de la crise ivoirienne, et qui ont été instrumentalisées comme des questions ethniques. Les titres fonciers sur les terres agricoles ne sont pas précis. Dans notre loi sur le foncier rural, la terre appartient à l'État – une aberration. Les propriétaires fonciers doivent pouvoir vendre ou louer leurs terres à qui ils veulent. Il faut établir un cadastre du territoire pour classer les parcs nationaux et établir les titres fonciers gratuitement pour les villageois, afin que chacun ait la liberté de faire ses transactions comme il l'entend. Si j'ai un puits dans ma cour et que j'y trouve du pétrole, de l'or et des diamants, pourquoi ces richesses ne seraient-elles pas moi ? Pourquoi l'État me laisse-t-il l'eau, mais pas les denrées importantes ?

Troisième point : la retraite, qui concerne de plus en plus d'actifs. Nous avons une caisse nationale de prévoyance sociale et un institut, la caisse générale des agents de l'État, qui ont toutes les difficultés pour joindre les deux bouts. Il faut mobiliser l'épargne nationale sans chercher des prêts à 7 % ou 8 %. Nous voulons basculer dans le système de retraite par capitalisation, susciter des fonds de retraite qui vont collecter et placer cette épargne. Cette réforme de la retraite et des nouveaux produits financiers exige une réforme du système bancaire et monétaire. Mon plaidoyer en faveur du réaménagement de la zone franc et de la fonction bancaire doit se faire dans notre Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Nous n'obtiendrons rien si nous n'arrivons pas à collecter l'épargne pour financer les investissements. L'économie de marché est la seule voie pour nous sortir du chômage et de ce désespoir qui pousse nos jeunes dans les rébellions ou l'immigration. Ils vont mourir sur les côtes de la Méditerranée ou se retrouver en Europe, où les gens sont fatigués de cette immigration.

Sur le plan de la politique monétaire, vos positions vous rendent indésirable pour l'ancienne puissance coloniale. Cela entame-t-il votre poids ?

M.K. – De nombreuses personnes à Paris comprennent très bien la nécessité de réformer ce vieux système de coopération qui a enfanté le franc cfa. Ce système représente un problème commun, aussi bien pour les partenaires européens de la France que les pays de la zone franc, à cause du contrôle étroit exercé par Paris sur l'activité monétaire et bancaire. Dans le système actuel, seules les grosses entreprises peuvent gagner de l'argent. Les Pme-Pmi qui ont des investissements à faire ne peuvent pas prospérer à cause du franc cfa, une monnaie forte qui empiète sur leur compétitivité. Je suis sûr d'avoir des oreilles attentives à Paris.

Vous vous interrogez sur mes chances de gagner si la France n'est pas avec moi, en tant que candidat? Je ne suis pas convaincu que Paris puisse faire élire les présidents en Afrique. Ce sont les peuples africains qui votent. Quand nous serons capables de proposer non pas notre argent, notre ethnie, notre religion ou notre région, mais de vrais programmes de réformes, des changements pour améliorer les conditions de vie, les électeurs feront leur choix. Car il s'agit de leur vie, et non de leur religion ! Si nous sommes capables de nous mobiliser, nous aurons des élections sans avoir besoin de la bénédiction de Paris. L'ancienne puissance coloniale peut certes mettre à la disposition des candidats des fonds colossaux pour leur permettre de fabriquer des t-shirts, des casquettes et distribuer le maximum des billets de banque pour rester au pouvoir. Entre deux élections, elle n'est pas en mesure de régler les problèmes des populations. Je ne suis pas sûr que mes positions sur le franc cfa représentent un handicap. Je peux être perçu comme dangereux pour les intérêts français à court terme, mais pas à long terme.

Vos détracteurs n'affirment-ils pas que le franc cfa a joué un rôle de stabilisation et marque la réussite de la première monnaie communautaire en Afrique ?

M.K. – Ils le disent sans en apporter les preuves. Montrez-moi un seul des 14 pays de la zone franc qui a fait la différence ! Quand je leur demande de classer les pays par succès sur les cinquante dernières années, mes détracteurs doivent bien reconnaître que les plus performants ne sont pas francophones. Qu'il s'agisse du chômage, de la scolarisation ou des investissements directs étrangers, les pays francophones sont derrière ! Les taux d'inflation sont maîtrisés, il est vrai, mais le calcul en est biaisé. En France, l'Insee utilise un panier de la ménagère qui contient la plupart des biens, sur l'ensemble des villes et des régions de France. En Afrique, on se base sur un panier de produits trouvés dans les seules capitales et qui portent sur des prix administrés, fixés par l'État. Au Sénégal, l'indice des prix est calculé sur le marché de Sandaga, à Abidjan sur le marché de Treichville. Or, partout les populations se plaignent du coût de la vie !

Que pensez-vous du rôle joué par l'Uemoa quand elle a coupé les vivres au régime de Laurent Gbagbo durant la crise postélectorale ?

M.K. – C'était logique. A partir du moment où Nicolas Sarkozy avait dit qu'il ne reconnaissait que Ouattara comme président élu en Côte d'Ivoire, il était logique que les institutions de la francophonie le suivent. Le pacte colonial donne ce pouvoir aux autorités françaises d'intervenir au Conseil d'administration de l'Uemoa et de la Banque centrale des États d'Afrique de l'ouest (Bceao) avec une voix prépondérante. Il faut remettre en cause ces accords de coopération devant la Cour internationale de justice. Nous devons en faire l'audit et passer à autre chose, avec une monnaie rattachée à un panier de monnaies et non plus seulement l'euro.

Où en serait la Côte d'Ivoire si elle battait sa propre monnaie ?

M.K. – Un tel choix ne serait pas judicieux. Le commerce n'est pas très intense entre les pays africains où circule le franc cfa. L'hypothèse d'une monnaie communautaire gérée par l'ensemble des pays francophones de la sous-région me paraît plus intéressante que l'hypothèse d'une monnaie nationale, individuelle. Si nous arrivons à une monnaie commune dans le cadre de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest, tant mieux. Sinon, tant pis. Le Nigeria a sa propre monnaie et ne se porte pas si mal. Le Kenya aussi Les monnaies nationales en Afrique sont tout ce qu'il y a de plus banal. Sur 54 Etats, on n'en compte que 17 avec une monnaie commune. Les autres ont leur monnaie nationale. Il n'est pas exclu que la Côte d'Ivoire puisse l'envisager, même si cela ne peut être qu'une solution alternative. La meilleure option serait de partir sur la (...)



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