Sites de regroupement, démobilisation, traitement dans les camps, rapport avec la hiérarchie... / Binaté Moussa (ex-responsable du service casernement) : « Des responsables ont encore armé des ex-combattants » - « Déposer les armes ne veut pas dire qu'on est démobilisé »


Dans ses ex-bureaux à la Bae, Binaté pointe un doigt accusateur sur sa hiérarchie.
  • Source: Soir Info
  • Date: vend. 05 juin 2015
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Après avoir quitté le camp de la Brigade anti-émeute ( Bae) à Yopougon, Binaté Moussa, ex-combattant et anciennement responsable du Service casernement de la cellule d'hygiène et d'entretien du site de regroupement des ex-combattants de la zone 1 Fir 8, à la Bae de Yopougon, accuse ses supérieurs hiérarchiques de s'être sucrés sur le dos des ex-combattants.

Il se réjouit également de ce que son appel ait été entendu par le Chef de l'Etat qui a ''nettoyé'' les sites de regroupement de leurs occupants. Suivons-le dans cet entretien qu'il nous accordé le 17 mai 2015. Et il n'y va pas du dos de la cuillère pour faire des accusations et dire des vérités fracassantes.

 

Vous vous dites ex-combattant, cela suppose que vous avez été démobilisé... 

A dire vrai, je n'ai jamais été démobilisé. Être démobilisé, c'est après le désarmement et la réinsertion qu'on peut parler de démobilisation. Pour le moment, je suis un officier de réserve. C'est ce qu'on m'a promis. Donc j'attends.

 

Qui vous l'a promis ?

C'est le commandement. Nous sommes une vingtaine dans ce cas, qui attendons. On devrait aller suivre un stage, et ensuite sortir comme des officiers de réserve, et attendre qu'on nous affecte. Mais tout ne réside pas forcement dans l'Armée. Je peux servir à d'autres postes.

 

Depuis quand avez-vous commencé à combattre pour espérer avoir le grade d'officier de réserve ?

C'est depuis la rébellion de 2002, et moi j'étais au nord du pays.

 

Où étiez-vous précisément ?

En fait, j'ai fait Bouaké, Man, Danané, Biankouma et Séguéla qui est mon village natal.

 

Mais si vous avez combattu tout ce temps, comment expliquez-vous votre mise à l'écart, alors que nombre de vos camarades de cette époque ont été reversés dans l'Armée, dans des régies financières et autres ?

C'est tout simplement par la mauvaise foi des différents commandements. Pourtant, moi j'ai servi à des poste de responsabilités. Comme par exemple le casernement sur un site de regroupement d'ex-combattants. Ce qui n'a jamais été chose aisée. J'étais au four et au moulin avec tous les ex-combattants. Qu'il s'agisse de pro-Gbagbo, pro-IB et même pro-Ouattara.

 

A quel moment êtes-vous arrivé à Abidjan pour qu'on vous confie un si important service, comme vous le dites vous-même ?

C'est pendant la crise post-électorale, avant l'arrestation de Gbagbo. Ma nomination date de 2011.

 

Et quel était exactement votre rôle ?

Je m'occupais du service de logement et de l'assainissement de l'environnement dans la caserne. Un peu l'administration.

 

Vous étiez élément de quel commandant ?

Je n'apprécie pas qu'on parle d'élément de qui ? Je préfère dire qu'on a servi sous l'actuel chef d'état-major de l'Armée qui était le chef d'état-major des Forces armées des Forces nouvelles ( ). C'est lui qui était le grand patron. Mais il faut dire aussi que j'ai eu plusieurs responsables directs. A Séguéla, il y avait Dosso Inza. Le commandant Loss m'a trouvé à Man. J'étais également à Biakouman avec un autre chef. Et ainsi de suite. Ça changeait chaque fois. A Yopougon, j'ai eu la chance de servir sous le commandant Coulibaly Ousmane alias Ben Laden, l'actuel préfet de San Pedro.

 

Mais pourquoi avec toute cette fidélité, vous vous en sortez avec presque rien ?

Je m'en remets à Dieu. Si je suis en vie, c'est le plus important. Mais je le répète, tout cela m'arrive par la mauvaise foi de certains de nos anciens dirigeants. Surtout ceux des sites de regroupement d'ex-combattants. Il y a même un qui m'a lancé au visage à l'état-major, qu'ils choisissent qui ils veulent. Ceux qui font leur affaire, bien entendu. Voilà le raisonnement de ce responsable.

 

De qui s'agit-il exactement ?

C'est Fofana Inza alias Gruman, et je ne peux oublier cela. Même devant le Chef de l'Etat, je peux le répéter. L'administration est une continuité. Cependant, après le départ de la Bae du Gt8 ( Coulibaly Ousmane alias Ben Laden), promu préfet de San Pedro, Gruman a été accueilli à bras ouverts. J'ai été celui-là même qui lui a remis les clés de la Bae. Je l'ai ensuite logé, ainsi que ses éléments avec qui il est arrivé. Et, il m'a confirmé à mon poste. C'était la confiance. Et il devait travailler avec les hommes de son prédécesseur. Comme dans toute administration, dans l'Armée, on ne choisit ni celui avec qui travailler, ni son chef.

 

Mais depuis 2002, n'y avait-il pas un fichier où étaient inscrits tous ces éléments venus des zones Cno (Centre, nord, ouest)  ?

Si, je suis enregistré dans les bases de données. J'ai travaillé pour mon pays. J'ai tous mes papiers. Je peux me démobiliser quand je veux. J'ai déposé les armes depuis l'arrestation de Gbagbo. J'étais parmi les premiers à le faire avec l'Onuci. Donc je n'ai pas de problème à ce niveau.

 

Vous avez donc été démobilisé de fait...

Non, déposer les armes ne veut pas dire qu'on est démobilisé. C'est une carte de désarmement que j'ai établie avec l'Onuci (Il brandit une carte). Je fais partie des premières personnes à avoir déposé les armes.

 

Depuis quand avez-vous quitté le site de la Bae ?

Je suis parti de ce site longtemps même avant l'appel du Chef de l'Etat. En décembre 2014, pour être précis.

 

Mais pourquoi alors n'avez-vous pas encore été démobilisé, comme vous le prétendez ?

Justement, c'est parce que j'ai eu des problèmes. Mon domicile a été pillé par les hommes du commandant Gruman, le lundi 24 novembre 2014. A ma demande, il m'a reçu et a cherché à savoir la raison pour laquelle j'avais deux appartements sur le site. Je lui ai fait savoir que le premier me servait de bureau, quand le second, une maison inachevée que j'ai réaménagée avec mes propres frais, me servait de logis avec ma famille, en attendant d'aller en stage.

 

Et qu'a-t-il fait ?

Il a donné des instructions afin qu'une enquête soit diligentée pour mettre le grappin sur les cambrioleurs de ma maison. Mais, alors que je regagnais mon bureau à la fin de cette rencontre, le caporal Sorbonne, qui m'avait menacé ouvertement devant le commandant Gruman et d'autres éléments, ceux-là mêmes qui ont pillé mon domicile, m'ont suivi. Ils m'ont brutalisé et dépouillé de mes téléphones-portables, avant de me jeter en prison au blindé, toujours à la Bae.

 

Mais pourquoi subitement vous la victime, vous vous retrouvez dans la peau de l'indésirable ?

Sous le prétexte fallacieux que c'est moi qui fournit des informations à la hiérarchie militaire et à des journalistes. De ma prison, grâce à un téléphone-portable que j'ai camouflé, j'ai pu envoyer des messages au commandant Gruman, pour lui signifier ce que je subissais. (Il nous montre quelques textos datés dans le temps).

 

Et quelle a été sa réaction ?

Aucune ! J'ai eu recours à mes relations, en dehors du camp et à des parents. Et tard dans la nuit, j'ai été libéré. Mais, je ne me sentais plus en sécurité sur ce site. Le commandant Gruman ne m'a jamais appelé pour me demander quoi que ce soit. Je me suis senti isolé. Aussi, subissais-je des menaces et autres humiliations quotidiennement. C'est pourquoi, j'ai préféré déserté le camp. Sur conseil et par l'intermédiaire d'un ami, j'ai expliqué aux agents des droits de l'homme à l'Onuci, tout ce que j'ai subi à la Bae. Voilà comment je me suis retrouvé dans la nature.

 

En quittant le camp, à quoi vous attendiez-vous concrètement ?

Je suis prêt à abandonner l'Armée.

 

Nos voulez pas être réinséré ?

Non, je ne parle même plus de tout cela. Être démobilisé et réinséré, non... Mon problème ce n'est pas l'Armée. Je connais ma valeur. Je ne cours pas après un poste.

 

C'est quoi alors votre problème ?

Je recherche la justice pour tout ce que j'ai subi à la Bae. Si j'ai commis un crime, qu'on me le signifie et que la rigueur de la loi suive. Dans le cas contraire, vivement que justice soit rendue.


Mais comment cela est-il possible, puisque vous êtes dans la nature ? Donc considéré comme un déserteur.

Oui je suis dans la nature, c'est pourquoi je préfère le terme ex-combattant. Étant dans cette posture, j'ai une certaine liberté. Le Chef d'état-major n'a pas apprécié mes interviews dans la presse. Je me dis alors qu'il me faut beaucoup de vigilance après les informations que j'ai divulguées. Mais, c'était le seul moyen pour moi de me

libérer et de me faire entendre par les autorités. Vous savez, j'ai fait aussi du renseignement. Et je sais de quoi je parle. J'ai donné toutes ces informations après avoir fait la prison et quitté le site. Et j'en suis fier. J'insiste et je persiste, que j'ai soif de justice.

 

Nous persistons. En étant dans la nature, comment voulez-vous que votre soif de justice soit étanchée ?

Mais ils savent où je suis. Ce sont des responsables. Un État fort, c'est celui qui est basé sur le renseignement et l'information. Logiquement, après ces informations confidentielles livrées, je devrais être arrêté immédiatement. Mais s'ils ne m'ont pas interpellé, c'est que c'est grave. Mais moi, je l'ai fait dans l'intérêt du pays.

 

Quelles sont ces informations prétendues secrètes que vous avez divulguées et dans quelle intention l'avez-vous fait ?

Je pense qu'il ne faut plus revenir sur ces informations. J'en ai déjà assez données et je pense que le message est passé.

 

Nous, on veut le savoir absolument...

(Rires) En fait, ces informations ne sont pas aussi graves, ni confidentielles. Mais c'est juste que j'ai interpellé les autorités sur ce qui se passait sur les sites de regroupement des ex-combattants. Au lieu d'encourager ces ex-combattants à la démobilisation, ils étaient plutôt utilisés à d'autres fins. Les responsables se sucraient sur leur dos. On les postait dans les plantations, devant des magasins, des sociétés... moyennant de l'argent que ces responsables utilisaient pour renflouer leurs comptes. Les ex-combattants ne profitaient guère du fruit de leur sueur. C'est vraiment dommage et triste.

 

Êtes-vous certain de ce que vous avancez ?

Je sais de quoi je parle. J'ai été un des responsables sur le plus grand site de regroupement ( Bae) et j'ai travaillé avec tous les ex-combattants, toutes tendances confondues, comme les Maguy...

 

N'est-ce pas pour toutes ces frustrations que ces ex-combattants « se payaient » sur le terrain en commettant des attaques, comme on l'aappris ?

(Rires). Moi aussi j'ai entendu dire cela. Mais je ne pense pas que ce soit totalement vrai.

 

Dites-nous ce que vous faisiez avant de vous engager dans la rébellion ?

Binaté Moussa était un jeune citoyen comme tout autre, qui servait un peu dans la sécurité.

 

Doit-on retenir, aujourd'hui, que vous êtes militaire ?

Je préfère le langage civil. Le côté militaire, j'en sais beaucoup mais j'évite de rentrer dans les détails. Je ne veux offenser personne. J'explique juste, ce que j'ai vécu et subi à la Bae.

 

Êtes-vous soutenu dans votre combat pour ce que vous appelez justice ?

J'ai côtoyé presque tous les ex-combattants et j'ai beaucoup d'amis un peu partout. Ce sont eux qui me soutiennent. Depuis que j'ai eu mes problèmes à la Bae, ce sont eux qui me font vivre.

 

Qui sont ceux-là exactement ?

Mais ce sont des ex-combattants. Ce sont mes collègues. Pas d'autres personnes.

 

Même des pro-Gbagbo ?

Non, on ne peut plus parler de pro-Gbagbo. Un ex-combattant est un ex-combattant. Dès lors que le Chef de l'État lui-même a appelé à un cessez-le-feu et demandé que tous les ex-combattants soient regroupés sur des sites, on ne peut plus parler de pro-ceci, pro-cela. Moi j'ai travaillé avec eux tous, sur un pied d'égalité. Et je pense avoir rempli ma mission.

 

Quelle était cette mission ?

C'était de mettre de l'ordre, de donner des conseils. Au fait, j'allais dire encadrer les ex-combattants. Et je peux dire que j'ai accompli ma mission. Et j'ai même demandé, depuis le mois de janvier 2015, que les sites soient libérés. Parce ce que ces sites devenaient un lieu de business pour les différents chefs. C'est pour ces vérités qu'on m'accuse d'avoir changé de camp.

 

N'est-ce pas vrai, dans le fond ?

Mais de quel camp parle-t-on ? Moi je n'ai fait qu'attirer l'attention de l'autorité. Et je pense que je n'ai pas eu tort. J'ai agi dans l'intérêt suprême de la Nation. Je devrais être félicité pour avoir fait mon devoir. Et ces chefs doivent comprendre clairement qu'ils ont échoué. Sinon, comment comprendre que ce soit le Chef de l'État lui-même qui donne un ultimatum. C'est qu'il y' a un problème, une défaillance. C'est un désaveu pour ces responsables.

 

Qui sont ces responsables que vous clouez au pilori ?

Ce sont ceux qui ont dirigé les différents sites. Et ma tête était mise à prix parce que j'ai été le premier à les dénoncer. Et Dieu merci, mon message a été perçu par le Président de la République qui a pris ses responsabilités. Je me suis donc fait trop d'ennemis et je me vois (...)

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