Léonard Guédé Pépé, alias James Cénach, est un enseignant de Mathématiques. Il est aussi un célèbre journaliste doublé de politologue rompu aux questions de droit international pénal. Il assure, dans cette interview, qu'il y aura immanquablement « une affaire Cpi contre Guillaume Soro », soulignant qu'il « y va de la crédibilité de la Cpi », et que « la Côte d'Ivoire a l'obligation juridique de remettre Simone Gbagbo à la Cpi ».
Guillaume Soro a déclaré, lors d’une conférence de presse à Cotonou, qu’en Côte d’Ivoire, il n’y a pas eu deux camps qui se sont affrontés. Il y avait un camp hors- la- loi et un camp qui était avec la loi ce sont les hors –la-loi qui sont jugés. Il ne comprend pas pourquoi la Cpi le poursuivrait. Votre commentaire.
James Cénach : Ce n’est pas la lecture de Guillaume Soro qui importe mais celle du Procureur de la Cpi. Le 23 juin 2011, le Procureur a introduit une requête auprès de la Chambre préliminaire III pour obtenir une autorisation de venir enquêter en Côte d’Ivoire. Au quatrième paragraphe de cette requête, il a écrit : « Dès le 25 février 2011, la situation a dégénéré en un conflit armé entre les forces pro-Gbagbo et les forces armées fidèles à Alassane Ouattara (...) Il existe une base raisonnables de croire que dans le contexte de ce conflit armé, les deux parties ont commis des crimes de guerre à grande échelle, y compris assassinats, viols, attaques contre les civils et les lieux de cultes ». Vous comprenez donc qu’il n’y a pas qu’un camp, mais deux que le Procureur suspecte d’avoir commis des crimes graves à grande échelle. Au sixième paragraphe du même document, le Procureur a précisé : « Le principal objectif de l'enquête qu’il envisage est l'identification des personnes qui ont commis ces crimes et celles qui, parmi les commanditaires, en portent la plus grande responsabilité ».
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Quelles conclusions en tirez-vous en ce qui concerne Guillaume Soro?
Mais avant, il faut faire quelques précisions.
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Lesquelles ?
Pour être autorisé à enquêter, le Procureur doit nécessairement convaincre la Chambre préliminaire que les affaires potentielles qui pourront être déduites des enquêtes à venir s’il y était autorisé, seront recevables devant la Cour. En d’autres termes elles ne conduiront pas à un conflit de compétence entre la Cpi et les juridictions criminelles nationales normalement compétentes pour juger ces affaires en question au cas où celles-ci s’en seraient déjà saisies.
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Précisément ?
Précisément aux paragraphes 45 et suivants de sa requête, le Procureur a précisé les contours de ces affaires potentielles. Il a présenté à la Chambre deux listes confidentielles l’une décrivant les faits et les circonstances dans lesquelles des crimes de la compétence de la Cour ont semblé avoir été commis, et l’autre la liste préliminaire des personnes ou des groupes de personnes appartenant ou associés aux pro-Gbagbo et aux pro-Ouattara, et qui semblent porter la plus grande responsabilité de ces crimes avec une indication du rôle spécifique de chaque protagoniste. Le Procureur a noté que faute d’enquêtes et de poursuites sur le plan national contre ces personnes pour les faits graves qu’il a décrits, il pense que les affaires potentielles les concernant seraient recevables devant la Cour c’est-à -dire qu’elles ne soulèveraient aucun conflit de compétences entre la Cpi et les juridictions nationales.
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Vous-voulez donc dire que le nom de Guillaume Soro serait sur cette liste préliminaire ?
Allons pas-à -pas. Fondons nos remarques et analyses sur des données objectives, pour ne pas être suspecté d’animosité à l’égard de qui que ce soit. Je signale dans ce sens que le 3 octobre 2011, la Chambre préliminaire III a favorablement répondu à la requête du Procureur, et a ordonné l’ouverture d’une enquête en Côte d’Ivoire. Elle a rendu, à cet effet, une décision qu’il convient de lire pour nous faire une idée de ce qui pourrait survenir.
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A quoi devrions-nous attendre ?
Aux paragraphes 97 et 116 de cette décision, la Chambre a estimé que de l’analyse des pièces du dossier que lui a présentées le Procureur, et des dépositions qui lui ont été adressées directement par les victimes présumées, elle a conclu qu’en plus des crimes de guerre que leur reproche le Procureur, les forces pro-Ouattara placées sous le contrôle général de l'(ex-) Premier ministre, Guillaume Soro, pouvaient aussi être suspectées d’avoir commis des crimes contre l’humanité à l’Ouest de la Côte d’Ivoire en mars 2011, notamment à Duékoué.
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Venons-en à la question posée...
La décision de la Chambre préliminaire ne met pas uniquement en évidence les crimes imputables aux forces pro-Ouattara, mais elle précise aussi que ces forces étaient placées sous le contrôle général de Guillaume Soro. Celui qui, bien que loin du théâtre des opérations, influence le comportement de ces forces est, selon cette indication de la Chambre, le premier ministre Guillaume Soro. Il est donc bien prévisible que sur la voie de la répression de ces crimes, le Procureure mette en cause la responsabilité pénale de Guillaume Soro en tant qu’il est désigné comme chef des pro-Ouattaracar, dans la logique de la stratégie des poursuites de la Cour, ce sont les chefs qui portent la plus grande responsabilité des crimes imputables à leur organisation. Ce sont eux qui, en fonction du contrôle qu’ils ont exercé sur la commission du crime sont visés au premier chef par les poursuites de la Cour et non les seconds couteaux.
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Pourquoi depuis longtemps que les crimes ont été commis, le Procureure n’a pas poursuivi les partisans du président Ouattara ?
C’est vrai qu’en Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, ayant publiquement revendiqué la paternité de la rébellion de 2002, on s’attendait à ce qu’il soit le premier devant la Cpi depuis longtemps que la juridiction de cette Cour a été reconnue par la Côte d’Ivoire pour les crimes de septembre 2002. Mais, il faut retenir que c’est seulement le 3 octobre 2011, que le Procureur a été autorisé, à sa propre demande, à venir enquêter en Côte d’Ivoire, d’abord sur la crise post-électorale, et puis en février 2012, sur l’ensemble de la situation créée par le coup d’Etat manqué de septembre 2002 de Guillaume Soro.
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Est-ce qu’on ne peut pas parler de justice sélective puisque depuis 2011, aucun acte n’a été posé en direction des pro-Ouattara ?Â
Votre inquiétude est partagée. Mais à la décharge du Procureur, il faut noter que les moyens de son bureau ne sont pas illimités. Et ce bureau doit faire face à plusieurs demandes venant des quatre coins du monde en même temps. C’est pourquoi dès l’entrée en vigueur du Statut de Rome, en juillet 2002, le Bureau du Procureur a adopté une méthode de travail permettant d’utiliser efficacement les moyens mis à sa disposition. Il procède selon une approche appelée l’approche séquentielle. Lorsqu’il doit intervenir sur un théâtre d’opérations, il commence par identifier les différentes parties en présence, puis enquête sur ces différentes parties, l’une après l’autre mais pas sur toutes les parties en même temps. C’est cette approche qu’il a appliquée au Congo démocratique (Rdc) qu’il applique en Côte d’Ivoire. Il a identifié deux camps : le camp pro-Gbagbo et le camp pro-Ouattara. Il semble avoir fini ses enquêtes concernant les pro-Gbagbo après l’inculpation du couple Gbagbo et de Charles Blé Goudé. Comme il l’a annoncé, il va s’attaquer ce mois-ci aux pro-Ouattara si le gouvernement lui apporte la coopération à laquelle il s’est engagé. La justice va lentement, dira-t-on, mais elle suit inexorablement son cours.
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Mais le Président de la République a dit qu’il ne remettra plus aucun Ivoirien à la Cpi, et que les Ivoiriens seront dorénavant jugés en Côte d’Ivoire ?
J.C.:Les Ivoiriens doivent l’encourager à persévérer dans cette voix parce qu’il y va de la souveraineté nationale. Dans tous les pays du monde, le procès pénal est marqué par le principe de la territorialité, cela veut dire qu’une infraction pénale est, entre autres exigences, soumise au juge compétent du ressort où elle a été commise. Il est dans l’ordre des choses que les autorités ivoiriennes revendiquent le jugement des crimes commis sur leur territoire. Il convient de noter que si la Côte d’Ivoire a, par sa libre ratification du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, accepté une certaine limitation de souveraineté en matière criminelle, elle n’a toutefois pas signé un acte d’abandon total de celle-ci au profit de cette juridiction, au point qu’elle s’obstine aujourd’hui à vouloir juger pour les mêmes faits, les personnes contre qui des procédures judiciaires sont déjà en cours en Côte d’Ivoire.
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Voulez-vous parler du cas de l’ex-Première dame Simone Gbagbo ?
C’est bien cela. Nous savons tous que Simone Gbagbo est poursuivie en Côte d’Ivoire depuis l’ouverture d’une information le 29 février 2012, pour des crimes de sang qui auraient été commis par les Forces pro-Gbagbo. Elle a été entendue plusieurs fois, des témoins ont été aussi entendus, les parties civiles se sont manifestées, les juges d’instruction sont au travail sur les faits couvrant toute la période de la crise postélectorale. Malgré cette procédure la Cpi la réclame pour la juger pour des faits eux-mêmes de toute évidence, inclus dans ceux en jugement en Côte d’Ivoire.
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Mais pourquoi donc la Cpi s’obstine à vouloir juger Simone Gbagbo alors que la justice ivoirienne s’est déjà saisie du même dossier des crimes de sang de la crise post-électorale ?
J.C. : Pour La Chambre la Côte d’Ivoire n’a pas montré qu’elle était entrain de prendre des mesures d’enquête tangibles, concrètes et progressives pour déterminer la responsabilité pénale de Simone Gbagbo pour les faits portés devant la Cour. La Cour et la Côte d’Ivoire enquêtent-elles sur les mêmes faits criminels ? Voici la question à laquelle la Côte d’Ivoire selon la Cour n’aurait pas apporté de réponse précise car elle a jugé que l’Etat de Côte d’Ivoire ne lui a pas apporté d’éléments précis sur les faits à l’origine des accusations portées contre Simone Gbagbo et que les actes criminels sur lesquels elle prétend enquêter depuis février 2012 sont flous et indéfinis. Pour la Chambre le fait que des accusations soient portées contre Simone Gbagbo et qu’elle ait été placée et maintenue en détention jusqu’à ce jour ne suffisent pas à prouver que l’affaire la concernant fait actuellement l’objet d’enquête. La Chambre a conclu que l’affaire Simone Gbagbo, que la Procureur a portée devant elle, et qu’elle veut juger ne serait pas l’objet d’une enquête en Côte d’Ivoire. Comme cette affaire ne serait pas l’objet d’enquête en cours, aux yeux de la Cpi elle a donc été déclarée recevable. Cette décision a été confirmée en dernier ressort par la Chambre d’Appel. Le débat judiciaire étant ainsi clos, la Cpi réclame que Simone Gbagbo lui soit remise.
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Le président de la République, Alassane Ouattara, a déclaré, lors de la conférence de presse qu’il a donnée le 25 juin 2015 que la Côte d’Ivoire maintient sa position de faire juger Simone Gbagbo par les juridictions ivoiriennes...
Précisons les choses. Je salue la volonté manifeste du chef de l’Etat de ne pas livrer Simone Gbagbo à la Cpi. Cependant, je crains que sur le plan du droit statutaire, la Côte d’Ivoire n’ait plus d’arguments, la Chambre d’Appel de la Cpi ayant, en dernier ressort, confirmé, en tous ses points, et à l’unanimité des cinq juges qui la compose, que l’Affaire Simone Gbagbo pendante devant les juridictions ivoiriennes n’est pas la même que celle qui est portée devant la Cpi. Le critère, « même personne/même comportement » ne serait pas satisfait dans cette espèce. C'est-à -dire, si dans les deux cas, il s’agit de la même personne, cependant, on ne peut affirmer que les actes criminels reprochés à cette personne par la Cpi et ceux que lui reproche la Côte d’Ivoire, soient les mêmes.
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La Côte d’Ivoire est-elle donc dans l’obligation de remettre Simone Gbagbo ?
Oui, malheureusement ! Elle a l&rs (...)
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