Désengorgement des milieux carcéraux - Reportage / Saliakro, la « prison de l'espoir » : Comment les détenus y vivent - Ce qu'ils demandent à l'Etat

  • Source: L'Inter
  • Date: jeu. 15 mai 2014
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Le gouvernement veut améliorer la situation des détenus dans les milieux carcéraux de la Côte d'Ivoire. Dans cette optique, le Ministère de la Justice, des droits de l'homme et des libertés publiques, soutenu par des partenaires extérieurs, a réfléchi à la création d'une prison agro-pastorale : Saliakro, dans le département de Dimbokro au centre-est de la Côte d'Ivoire. Nous y étions les samedi 10 et dimanche 11 mai derniers. Reportage sur ce centre de détention particulier, le premier du genre, avant son ouverture officielle, jeudi 15 mai 2014, par le ministre Mamadou Coulibaly Gnénéma.

Il est 11 h samedi 10 mai 2014. Nous sommes à Dimbokro, où nous avons rendez-vous avec un membre de l'administration de la prison ferme de Saliakro, un émissaire du régisseur de la prison, M. Pinguissié Ouattara. Nous embarquons dans un camion, sur lequel on peut lire « ferme de Saliakro », tandis que les flancs portent la mention « Maison de Correction de Dimbokro. Don de l'Union Européenne ». Nous marquons un arrêt dans un moulin pour y chercher du maïs moulu. Il doit servir à la nourriture des prisonniers. « Non ! il faut plutôt dire des apprenants », nous fait savoir l'Adjudant-chef major M'begnan Touré, car à Saliakro, les détenus ne sont pas considérés comme tel. Ils sont vus autrement.

Les 18 kilomètres qui séparent Dimbokro à notre destination ne furent pas un trajet aisé à cause de l'état défectueux de la route. Nous mettrons près d'une heure pour la parcourir. La voie principale qui mène de Dimbokro à Bongouanou, est parsemée de de gros nids de poule jusqu'au carrefour d'Ébimolossou (Akakro), où nous dévions pour Saliakro. Mais cette souffrance n'a rien de comparable à celle que nous nous apprêtions à vivre. Ébimolossou est distant seulement de 2 km de la voie bitumée. Mais, il a fallu 16 minutes pour que nous y arrivons. La piste étant fortement dégradée, présentant des cassures, des trous et des pentes très glissantes, après la pluie. Le véhicule traverse le village. Plus que 4 kms pour atteindre Saliakro, là où se trouve la prison-ferme.

Projet de l'Ong internationale ''prisonniers sans frontières'' (Prsf), financé par l'Union Européenne, la ferme pénitentiaire répond à un souci de désengorgement des milieux carcéraux de Côte d'Ivoire. Le projet se situe dans le cadre de la politique du gouvernement de redorer le blason de son système judiciaire et pénitentiaire, et d'améliorer les conditions de vie des détenus. Et c'est le site de l'ex camp de jeunesse de Dimbokro qui abrite cet univers carcéral d'un autre type. Démarrés l'année dernière, les travaux de réhabilitation des 21 bâtiments, 18 par le partenaire et 3 par l'État de Côte d'Ivoire, se sont achevés cette année, ce qui a permis l'affectation du personnel administratif pénitentiaire et les premiers '' apprenants ''.

La ferme pénitentiaire de Saliakro s'étend sur une superficie de 450 hectares cultivables, bordés par les fleuves N'gbemo d'un côté, et le N'zi, de l'autre. Les infrastructures n'occupent qu'une petite partie de cet immense territoire. On y dénombre une administration, la résidence du régisseur, une infirmerie et la résidence de l'infirmier. Il y a aussi trois brigades, des logements pour les '' apprenants '', des magasins d'outils, une porcherie, une buanderie, un garage, un réfectoire, un château d'eau, et un forage. Cette cité et ses installations sont éclairées par sept lampadaires, alimentés par l'énergie solaire.

 

Les détenus de Saliakro et leurs activités

C'est dans cet univers '' carcéral '' que séjournent des prisonniers désormais appelés '' apprenants ''. Qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Que font-ils ? C'est M. Ouata Babacar, Directeur de l'administration pénitentiaire qui répond : « Ce sont tous les détenus qui peuvent y aller. Saliakro doit comporter 150 détenus dans la phase actuelle. Mais dans un premier temps, on a voulu prendre les gens qui ont l'habitude de manipuler la terre. Donc, on choisit parmi les détenus ceux qui sont condamnés pour des faits reliés à la terre. Ensuite, nous regardons vers les détenus qui ont de courtes peines, au maximum 24 mois, sinon 3 ans. Mais on évite certains détenus. Les détenus de la drogue et des grands bandits », dira-t-il. A ce jour, cinquante détenus ont été transférés dans ce pénitencier hors du commun.

Mais à notre passage, il ne restait que 39 apprenants. Les autres ont été libérés pour avoir purgé leur peine. Leur passage en ce lieu obéit à un objectif bien précis. « Il s'agit de les aider à se resocialiser, car la société a perdu toute confiance en eux. Elle leur donne l'occasion de se ressaisir », a indiqué Pinguissié Ouattara, membre de l'administration pénitentiaire. Le travail de resocialisation pour ces détenus consiste à apprendre entre autres la mécanique, la couture, les techniques agro-pastorales, mais surtout à produire. Le régisseur a expliqué que le fruit du travail agricole des apprenants « permettra à Saliakro de mieux fonctionner, à l'administration pénitentiaire ivoirienne d'améliorer l'alimentation des détenus, à décharger l'État de ses dépenses et à réduire la délinquance par la réinsertion ».

Plus précisément, « une partie des récoltes sera commercialisée. Une autre servira à la nourriture de nos pensionnaires et à ceux des autres prisons de Côte d'Ivoire. Une partie sera conservée pour les semences. Le personnel administratif et l'Ong Prsf auront également leur part », ont indiqué les adjudants Kouadio N'goran et Koffi Yao Jacob, responsables de la production. L'agronome n'était pas en place à notre passage. Ils ont relevé que déjà 9 hectares ont été labourés. Sept semés de manioc, de gombo, de maïs et d'ignames. Les deux autres sont apprêtés pour recevoir de la salade, du piment, de l'aubergine encore en pépinière.

Outre ces cultures vivrières, les deux adjudants ont ajouté que deux autres hectares sont aménagés pour des cultures pérennes, notamment le moringa et l'oranger. Il est aussi prévu du café. Les premières récoltes sont attendues pour la fin de mai. Elles concerneront le gombo, ensuite le maïs et l'igname. Les pensionnaires de Saliakro sont heureux de participer à ce projet, ce, d'autant plus que l'univers dans lequel ils ont été transférés, est un paradis sur terre, comparé à leurs prisons d'origine. Berthé Aboubacar, arrivé il y a un mois, ne veut pas parler de son infraction, mais affirme qu'il y a une différence entre Saliakro et la prison de Korhogo d'où il vient.

« Ici, on est à l'air libre, on se promène où on veut. Or à Korhogo, la journée commence et se termine à l'intérieur de la prison. On vit enfermé. Ici, il y a de quoi à faire. Quand on finit, on va manger », explique t-il, informant qu'il est titulaire d'un bac A2. Nous l'avons rencontré à l'intérieur du centre de détention. Un ensemble de quatre bâtiments de plusieurs dortoirs, avec des toilettes extérieures. Ce centre est entouré par une clôture en grille fine. Berthé n'était pas seul. Ce samedi après-midi, ils avaient tous obtenu le repos. Le surveillant le leur a permis parce qu'ils disaient être fatigués. Ils étaient presque tous présents dans la cour. Certains dévisaient amicalement, quand d'autres étaient devant le poste téléviseur. Ils suivaient le match Asec-As Tanda, qui s'est soldé par le score de 3 buts à 0 en faveur des jaune et noir. Le poste téléviseur leur a été offert par un encadreur et l'antenne par l'adjudant-chef major Touré M'begnan.

Quand ce dernier nous présente aux apprenants, c'est avec joie qu'ils nous reçoivent et s'offrent volontiers à nos caméras et appareils photo. Chacun se précipite dans son dortoir pour apprêter son lit pour le besoin des photos. Ces chambres sont dotés de plusieurs lits surperposés, pour une population de 150 personnes. Chaque apprenant dispose d'une couverture pour la nuit. Le seul problème à ce niveau, ce sont les moustiques. « Il y a beaucoup de moustiques ici à Saliakro. On a besoin de moustiquaires pour nos apprenants », plaide l'Adjudant, soulignant que les cas de paludisme sont récurrents. Il n'empêche, « ici est très bon. On préfère rester là parce que nous apprenons. Quand nous étions au dehors, beaucoup ne savaient rien faire », laisse entendre Sregbéhi Rodrigue. Son voisin de chambre Doumbia, dans le même élan, remercie les autorités pour l'opportunité qu'elles leur offrent. Dans la salle de télévision, Aka Delarios, promoteur de projet, condamné pour abus de confiance, se dit très à l'aise à Saliakro.

Il exprime lui aussi sa reconnaissance aux responsables de l'administration pénitentiaire, mais surtout au président Alassane Ouattara. « Pendant nos heures creuses où nous n'avons pas grand chose à faire, nous regardons la télévision avec le concours (...)

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