Interview / La présidente nationale d'Amnesty Internationale parle : « Des détenus subissent des tortures » - « Mme Gbagbo et Blé Goudé doivent être jugés par la CPI » - « La CPI a émis des mandats d'arrêts contre des pro-Ouattara »


Pour la présidente nationale d'Amnesty International, les autorités doivent accélérer les procédures judiciaires
  • Source: L'Inter
  • Date: jeu. 14 nov. 2013
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Les cas Blé Goudé, Mme Gbagbo, les gendarmes arrêtés à Agban et Azito, les 41 jeunes extradés du Liberia, ce sont là quelques sujets brûlants abordés courageusement par la présidente de la section ivoirienne d'Amnesty International, Nathalie Kouakou Yao. Interview vérité d'une militante des droits de l'homme.

Evoquant les procédures judiciaires engagées en Côte d'Ivoire dans le cadre de la crise post-électorale, une organisation des droits de l'homme a parlé récemment de « justice sélective ». Partagez-vous ce jugement ?

Bien sûr, nous partageons ce jugement. Parce que nous avons vécu une guerre post électorale opposant deux camps rivaux. Un rapport d'enquête sur les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire a dénombré 3248 morts et identifié les présumés coupables composés des forces dites pro-Gbagbo, les FRCI(forces pro-Ouattara), les militaires, les groupes d'auto-défenses et autres. Le constat est qu'à ce jour, seule les personnes liées à l'ex-président, qu'elles soient civiles ou militaires, sont arrêtées et détenues à Abidjan et à la Haye. Pourtant, le gouvernement ne cesse de dire que l'impunité est au centre de la réconciliation nationale. Comment pouvons-nous ressouder le tissu social si tous les auteurs de crimes ne sont pas poursuivis, si certains bourreaux continuent de narguer leurs victimes. Il est vraiment important que la lutte contre l'impunité ne soit pas à double vitesse. Il faut que la recherche de la justice pour les victimes ne soit pas dans un seul sens ; toutes les victimes doivent sentir cette sorte de réparation morale que de voir leurs bourreaux mis aux arrêts et jugés. Le ministre de la Justice ne cesse de marteler que tous les auteurs de crimes liés à la crise post-électorale seront poursuivis, nous attendons toujours les arrestations et les inculpations des commandants de zones, de leurs éléments et de certains dozos qui continuent de semer la terreur dans les villes et villages.

Après l'ancien président, Laurent Gbagbo, c'est Mme Gbagbo, puis Charles Blé Goudé que la Cour pénale internationale( Cpi) a décidé de poursuivre. En ne visant que les pro-Gbagbo, la Cpi n'apporte-t-elle pas de l'eau au moulin de ceux qui parlent de justice sélective ?

De prime abord, on pourrait penser que la Cpi s'acharne sur les personnes dites pro-Gbagbo, mais nous devons savoir qu'elle a ses procédures internes. Nous savons que des mandats d'arrêt ont été émis contre certains chefs de guerres pro-Ouattara, mais ces mandats sont encore sous scellés jusqu'à ce que la Cpi juge opportun de lever les scellés. Je puis vous assurer qu'elle poursuivra les forces pro-ouattara qui auraient commis des crimes contre l'humanité. Il y a les événements de Duékoué où près de 816 personnes d'une même ethnie ont été massacrées. Il faut que la vérité éclate pour qu'on sache qui a fait quoi et pourquoi. La Cpi se doit de poursuivre les présumés coupables pour que la vérité puisse éclater et surtout pour que les victimes soient réhabilitées et que leurs parents aient réparation. Il y a aussi toutes les exactions qui ont été commises dans le Nord avec l'histoire des conteneurs pendant la guerre de 2002.

En mission en Côte d'Ivoire, l'expert indépendant des Nations Unies, Doudou Diène, a préconisé que Mme Gbagbo bénéficie d'une liberté provisoire. C'est également votre avis à Amnesty International ?

Nous pensons qu'il y a, dans notre pays, des lois encadrant les gardes à vue et les détentions provisoires. Il est donc temps que le gouvernement mette en application ces lois. Cela fait un peu plus de deux ans que l'ex-Première dame est détenue, et elle attend toujours son jugement. Représente-elle un danger pour l'Etat ? Nous pensons qu'elle doit bénéficier de la liberté provisoire, tout comme ses camarades militants du FPI qui ont été libérés par vagues. Elle doit faire partie de la prochaine vague de libération, car tout cela concourt à la décrispation du climat politique et social.

L'avez-vous rencontrée depuis qu'elle est détenue dans le Nord ? Quelles sont les dernières nouvelles que vous avez d'elle ?

Oui, des responsables de notre mouvement l'ont rencontrée dans le cadre de la dernière enquête. Les dernières nouvelles ne paraissent pas bonnes, en ce qui concerne son état de santé.

Avez-vous rencontré Charles Blé Goudé depuis son extradition au pays ?

Non, personne ne connaît officiellement son lieu de détention.

Pour vous, Amnesty International, Blé Goudé et Mme Gbagbo doivent-ils être traduits devant la Cpi ?

La question ne se pose plus, puisque tous les deux ont fait l'objet de demande de transfèrement à la Cpi. La question est que l'Etat de Côte d'Ivoire a refusé le transfèrement de l'ex-Première dame, arguant que notre justice est suffisamment outillée pour la juger en Côte d'Ivoire ; alors l'Etat va-t-il transférer Blé Goudé ? Nous n'en savons rien. Amnesty International pense que ces deux personnalités doivent être jugées par la Cpi, parce que la cour offre plus de garantie et a plus de moyens pour offrir une justice impartiale, juste et transparente. Les dossiers de citoyens ordinaires et de corps habillés détenus dans le cadre de la crise post-électorale sont encore pendants au tribunal. Ils sont près de sept cent quarante deux qui croupissent dans nos prisons, quand est-ce que ces dossiers seront vidés ? La justice ivoirienne a-t-elle la capacité de juger tout ce monde-là ? Dans tous les cas, avec la justice des vainqueurs que nous constatons, nous pensons qu'il est préférable que Blé Goudé et Simone Gbagbo soient jugés par la Cpi, puisque poursuivis pour crimes contre l'humanité.

Vous parliez tantôt des personnes détenues dans le cadre de la crise post-électorale, combien sont-elles et où sont-elles exactement ?

D'avril 2011 à aujourd'hui 24 octobre 2013, selon les informations à notre disposition, ce sont 742 personnes qui sont en détention dans les lieux officiels, dont les 41 jeunes dont nous avons parlé tout à l'heure. D'avril à décembre 2011, il y a avait 83 personnes ; de janvier à décembre 2012, ce sont 426 personnes qui ont été arrêtées. De janvier 2013 à aujourd'hui 24 octobre 2013, 148 autres personnes ont été mises aux arrêts. C'est ce qui donne le chiffre de 742. De ces 742, on est sans nouvelles de 67 personnes ; on peut les considérer comme des personnes portées disparues. Nous avons par ailleurs 233 forces de sécurité et 509 civils, dont des élèves et des étudiants. Ceux qui ont été arrêtés juste après la guerre ont été inculpés pour génocide, meurtre. Tous les autres arrêtés après l'ont été pour atteinte à l'autorité de l'Etat, atteinte à la sûreté de l'Etat, atteinte grave à la défense nationale, enlèvement, séquestration, assassinat. Douze juges ont en charge tous ces dossiers et un seul a sous sa responsabilité, environ 443 détenus. 66 dossiers sont devant le tribunal militaire, du moins pour les informations en notre possession.

Les lieux de détention officiels sont : Maca( Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan), Mama( Maison d'arrêt militaire), prison civile de Toumodi, Séguéla, Man, Bouna, Boundiali et le Compagnie territoriale de Korhogo( Ctk). A ces lieux, il faut ajouter des sites de détention non officiels comme l'ancienne résidence de Marcel Gossio( ex-Dg du Port d'Abidjan, ndlr) à la Riviera Bonoumin, la place de la liberté à Yopougon, le camp génie militaire à Adjamé, le camp Frci de Marcory, d'Anyama, le camp commando d'Abobo, le camp Frci de Douékoué, San Pedro, Man( ex-peloton mobile), l'IIAO de Grand-Bassam, le camp Frci de Sokabo à Bonoua.

Amnesty International se préoccupe par ailleurs du cas d'un secouriste mis aux arrêts le 11 avril à l'ex-résidence privée de Gbagbo. De qui s'agit-il ?

Le secouriste en question s'appelle Ziza, il a été arrêté le 11 avril à la résidence du chef de l'Etat. Il faisait partie de l'équipe des secouristes du Chu de Cocody. Pendant les événements, l'ambulance du Chu a évacué certains blessés et promis de venir le chercher à la résidence privée du président de la République d'alors. C'est dans l'attente qu'il a été mis aux arrêts, quand la résidence est tombée. Et depuis deux ans, il est détenu à Korhogo. Sa femme n'a aucune nouvelle de lui. On lui a collé les accusations de génocide et meurtre, pour avoir porté secours à autrui. C'est pourquoi nous sommes favorables à l'amnistie pour ce genre de cas.

Hormis ce cas, avez-vous connaissance d'autres personnes détenues dans le Nord ?

Il y a le cas des 41 jeunes extradés du Liberia et qui sont incarcérés dans les différentes prisons de Côte d'Ivoire. Certains sont à la Macaet les autres ont été transférés au Nord. Nous en avons à Bouna, à Boundiali et à Katiola. Aujourd'hui, pour ce que nous savons, ce sont ces jeunes gens qui sont encore détenus dans le Nord. On peut dire qu'ils sont livrés à eux-mêmes, parce que quand les détenus du Fpi( l'ancien parti au pouvoir sous Laurent Gbagbo, ndlr) y étaient encore emprisonnés, c'est eux qui s'occupaient de ces jeunes gens, leur donnaient à manger, leur procuraient des médicaments quand ils étaient malades et les sécurisaient. Mais aujourd'hui, ils sont livrés à eux-mêmes. Il y a des endroits où ils ne mangent qu'une fois par jour. Il faut donc que le ministère de la Justice se penche sur la situation de ces jeunes gens.

Que savez-vous de ces jeunes gens ?

Je dirai que leur histoire est dramatique : ils ont fui la guerre en 2010 pour aller se réfugier au Liberia. Et là-bas, ils ont été jetés en prison où ils ont passé un an. Le Liberia étant en période électorale, les autorités municipales de la ville où ils étaient ont eu peur que des gens les utilisent pour semer des troubles. C'est ainsi qu'ils ont été emprisonnés pendant une année. Et lorsqu'il y a eu l'attaque de Taï, au cours de laquelle des casques bleus ont été tués, l'on recherchait des coupables. L'Etat de Côte d'Ivoire a tout de suite mis en cause ces jeunes, qu'on a dit être venus des camps de réfugiés du Liberia pour lancer l'attaque q (...)

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