Ecobank : la grande enquête


Le siège de la banque panafricaine Ecobank, à Lomé
  • Source: Jeuneafrique.com
  • Date: jeu. 10 oct. 2013
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Tensions au plus haut niveau, accusations de conflits d'intérêts et luttes de pouvoir : Ecobank, le premier groupe bancaire panafricain, est dans la tourmente. Enquête sur une affaire explosive.

Pour un peu, Lomé se serait transformé en Dallas. Une femme en colère, un directeur général contesté, un président mis en cause, un ex au jeu trouble, des associés divisés… Depuis le 16 juillet à 18 h 27 (heure de la capitale togolaise, où le premier groupe bancaire panafricain a son siège), Ecobank, et avec lui ses filiales dans 34 pays du continent et son million d'actionnaires, a basculé dans le mauvais feuilleton.

Courriers confidentiels

jeuneafrique.com/images/stories/Finance/JA2751p079_info.jpg" align="left" hspace="4" width="280" height="238">Se basant sur des courriers confidentiels, le Financial Times, prestigieux quotidien économique britannique qui a « honoré » Ecobank d'une une et de multiples articles, a jeté une lumière crue sur les conflits plus ou moins larvés qui minent le conseil d'administration et une partie du management du groupe, ainsi que sur la gestion pas toujours exemplaire des conflits d'intérêts et sur le rôle trouble de certains actionnaires. Accélérant ainsi le cours de l'histoire : au cours des deux derniers mois, les administrateurs d'Ecobank se sont réunis officiellement quatre fois, à Lomé et jusqu'à Kigali, soit presque autant qu'au cours de toute l'année 2012. Le cours de Bourse, qui s'envolait depuis le début de l'année, passant de 35 F CFA (0,05 euro) début janvier à 65 en juin, est reparti à la baisse (– 11 % entre le 16 juillet et le 24 septembre).

Le nouveau directeur général, Thierry Tanoh, qui fait partie des personnalités mises en cause, garde le cap, estimant que « le groupe sortira grandi de cette épreuve ». En attendant, c'est toute la dynamique d'une banque presque familiale, dont les employés se baptisent eux-mêmes les « Ecobankers », qui est en danger. Là réside sans doute aujourd'hui le principal enjeu : sauvegarder cet état d'esprit qui a permis au rêve panafricain – celui-là même que les politiques ont été incapables de mettre en œuvre – de devenir réalité sous la forme d'une entreprise unique sur le continent.

Enquête sur un scandale qui pourrait bien relever de l'entreprise de déstabilisation.

Une transition chaotique

Jamais ambiance n'a été aussi délétère au sein du groupe bancaire panafricain. En fait, depuis l'arrivée de Thierry Tanoh à sa tête, la tension au sein du comité exécutif n'est jamais réellement retombée jusqu'à l'éclatement de ce qu'il convient aujourd'hui d'appeler « l'affaire Ecobank ».

Il y a d'abord eu la période de transition entre Thierry Tanoh et Arnold Ekpe, l'ancien directeur général poussé vers la sortie par le conseil d'administration. Censée durer six mois, elle a été réduite de moitié. La raison ? La difficile cohabitation entre les deux hommes. « Avec le fort caractère du directeur général sortant, la transition ne pouvait pas durer plus longtemps », indique-t-on en interne.

En outre, c'est peu dire que dans les plus hautes sphères d'Ecobank la nomination de Thierry Tanoh a fait quelques frustrés. L'ancien vice-président de la Société financière internationale (IFC, filiale de la Banque mondiale) a en effet été préféré, dans le cadre d'un processus de sélection mené par le cabinet international Korn/Ferry, à trois candidats internes comptant entre dix et vingt-cinq ans de maison : Albert Essien, Evelyne Tall et Laurence do Rego. On sait désormais ce que cette dernière pense du nouveau patron, qui « n'est pas un banquier et n'a pas les compétences de base nécessaires pour diriger [l']institution », comme elle le déclare dans un courrier dont Jeune Afrique a vu une copie.

C'est dans ce passage de relais chaotique que se trouvent les germes de l'actuelle crise de leadership.

Le trouble jeu des Sud-Africains

Derrière cette crise au sommet, certains voient déjà poindre une tentative de déstabilisation du groupe. Présent dans 34 pays du continent, Ecobank Transnational Incorporated (ETI) est aujourd'hui l'établissement africain le mieux placé pour profiter de son émergence annoncée. Il éveille de fait depuis quelques années la convoitise des grands noms du secteur. Déjà, en 2007, la montée en puissance fulgurante de la banque d'affaires Renaissance Capital au tour de table du groupe avait semé la panique. Six ans plus tard, la décision d'Ecobank d'annoncer publiquement le renforcement de son statut pour conserver son indépendance, alors que celle-ci ne semblait pas menacée, a ravivé les craintes.

Tous les regards se sont alors tournés vers l'Afrique du Sud. Le fonds de pension sud-africain Public Investment Corporation (PIC) est en effet aujourd'hui le principal actionnaire d'Ecobank, avec 18,2 % des parts. Nedbank, quatrième banque de la nation Arc-en-Ciel, a annoncé en début d'année son intention de convertir en actions dès le mois de novembre le prêt de 285 millions de dollars (plus de 212 millions d'euros) accordé au groupe panafricain en 2011. L'opération, équivalente à une augmentation de capital, lui permettrait de détenir environ 12 % du groupe (avec la possibilité de monter à 20 %), ramenant les parts de PIC autour de 15 %.

Derrière la montée des Sud-Africains au tour de table d'Ecobank, un homme : Arnold Ekpe (lire ci-contre, à gauche), le patron emblématique du groupe. C'est lui, « malgré la réticence de la majorité du conseil d'administration », précise un membre de cette instance, qui a négocié et obtenu le crédit convertible en actions auprès de Nedbank. C'est aussi durant son mandat que PIC a fait son entrée dans le capital du groupe. Selon deux sources concordantes, Sipho Mseleku, administrateur d'Ecobank (qui a également été l'un des artisans du deal avec Nedbank), a admis lors du conseil tenu récemment à Kigali s'être depuis associé à Arnold Ekpe pour créer un fonds de plusieurs centaines de millions de dollars, fonds dans lequel PIC envisagerait d'investir. Cet étonnant attelage entre un actionnaire, un administrateur et un ancien dirigeant cristallise désormais les interrogations.

D'autant qu'Ecobank reste une proie facile. La seule disposition connue pour protéger le groupe d'une prise de contrôle est celle qui impose à un actionnaire détenant plus de 24,99 % des parts de faire une offre pour monter à 75 %. La récente vente par Renaissance Capital des 6 % qu'il détenait à un acquéreur anonyme entretient en outre l'incertitude.

Le Nigeria aux aguets

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Parmi les acteurs inquiets de la montée en puissance des Sud-Africains, les Nigérians. Chez ETI, le géant économique ouest-africain est en effet partout. Historiquement d'abord, car le pays a été le principal contributeur (secteurs public et privé confondus) à la création du groupe, en octobre 1985. Capitalistiquement, aussi : via la structure publique Amcon, il est aujourd'hui son deuxième actionnaire, avec 9,7 % des parts. Mais ce n'est pas tout : avec le rachat d'Oceanic Bank, le Nigeria représente 41 % des actifs du groupe. Sanusi Lamido Sanusi, gouverneur de la Banque centrale, devrait d'ailleurs jouer un rôle clé dans l'évolution du groupe, qu'il semble vouloir attirer encore davantage dans le giron nigérian. Il a adressé des courriers en ce sens à la Commission bancaire de l'Union monétaire ouest-africaine (Umoa), qui est aujourd'hui le seul superviseur d'Ecobank.

Il est l'homme qui, début 2009, lorsqu'il était directeur général de First Bank of Nigeria, a remis d'actualité le projet de fusion entre son établissement, le premier du pays, et le groupe Ecobank. « Les Nigérians craignent la montée des Sud-Africains au capital, explique un membre du conseil d'administration. Ils veulent que la banque reste réellement panafricaine, jusque dans la composition de son actionnariat. »

Vers une nécessaire refonte de la gouvernance ?

S'il est un point sur lequel tout le monde se retrouve dans la bataille actuelle, c'est celui-ci : la qualité du conseil d'administration et les questions de gouvernance ne sont pas suffisamment prises au sérieux. Évoquée à de multiples reprises depuis plusieurs mois – dans l'affaire du bonus de 1,15 million de dollars accordé à Thierry Tanoh (auquel il a renoncé depuis), à propos du prêt de Kolapo Lawson et sur le départ de Laurence do Rego –, la question des bonnes pratiques sera d'ailleurs confiée par le groupe à « un cabinet de réputation internationale ».

En coulisses, les analyses se font sévères. « Depuis que le Financial Times a débuté sa campagne, le conseil n'a pas été capable de prendre les décisions importantes. Il a trop tardé », lâche l'un de ses membres, dépité.

Dans la communauté financière, le manque de représentation des actionnaires au sein du conseil étonne depuis longtemps : sur les 17 membres, 5 représentent des actionnaires, 5 sont des managers opérationnels et 7 sont réputés indépendants. Une composition contraire aux règles de l'Ohada, qui limitent à un tiers le nombre d'administrateurs non actionnaires, et que la banque doit en partie à Arnold Ekpe. L'ex-directeur général a vu dans cette composition une manière de préserver l'indépendance de l'institution et de la protéger d'un actionnaire trop gourmand qui aurait été tenté de dicter sa stratégie au management… Cet état de fait n'a d'ailleurs rien de nouveau : l'immense majorité des membres du conseil d'administration est en place depuis longtemps.

« Depuis quelques années, la taille d'Ecobank a explosé, souligne un consultant, mais les pratiques n'ont pas été mises à niveau. » Comble de l'ironie, c'est notamment dans ce but que Thierry Tannoh, expert en bonnes pratiques en tant qu'ancien de l'IFC, a été choisi pour succéder à Arnold Ekpe.


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