Doublés par les ex-combattants réinsérés, les élèves forestiers se retrouvent au chômage forcé


Les élèves, désormais officiers et sous-officiers, se sont rassemblés dimanche à la basilique de Yamoussoukro pour manifester leurs mécontentement. Photo du collectif d'élèves.
  • Source: France 24
  • Date: mar. 03 sept. 2013
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Ils sont 787 élèves forestiers destinés à des postes administratifs, à se retrouver aujourd'hui sans emploi. Fraîchement sortis des écoles, les postes qu'ils convoitaient sont en passe d'être confiés à d'anciens combattants qui ont servi durant la crise post-électorale en Côte d'Ivoire. L'une de ces élèves crie à l'injustice et nous confie ses craintes.

Au lendemain de son investiture en mai 2011, le président ivoirien, Alassane Ouattara, s'était engagé à intégrer les hommes qui s'étaient battu pour lui. Un défi très coûteux, environ 140 millions d'euros, selon les chiffres officiels, et qui concerne 64 000 démobilisés. Une autorité spéciale, l'ADDR, a même été créée en 2012 pour y faire face. Sans emploi et vivant pour la plupart dans un dénuement le plus complet, les ex-combattants exigent d'être réaffectés comme cela leur avait été promis par l'État ivoirien.

En juin, le directeur de l'ADDR annonçait donc que 1 000 d'entre eux seront prochainement intégrés dans les corps des agents des eaux et forêts, dont le travail principal est de protéger la forêt ivoirienne des braconniers et de permettre son reboisement.

Or près de 800 diplômés, principalement issus de trois écoles [l'Institut national de formation professionnelle agricole (INFAP) , l'École de spécialisation en foresterie de Banco (ESFB) , et l'École de faune et des aires protégées de Bouaflé (EFAP)] attendent, pour la plupart depuis trois ans, de passer le concours nécessaire à leur intégration dans l'administration forestière. Un concours annuel qui, depuis les troubles post-électoraux, a été suspendu.

Dimanche, 358 d'entre eux, venant de plusieurs villes de Côte d'Ivoire, s'étaient donnés rendez-vous à la basilique de Yamoussoukro pour "médiatiser leur situation", selon leur porte-parole Lacina Ouattara. Un rassemblement dispersé sur ordre du recteur de la basilique pour occupation illégale d'un bâtiment religieux. Une dizaine de personnes ont été blessées dans les échauffourées, selon des témoins.

Contacté par FRANCE 24, deux responsables du ministère des Eaux et Forêts en charge du dossier ont refusé de commenter la situation de ces 787 élèves, expliquant simplement que leurs revendications sont connues et qu'ils attendent un retour de la primature les concernant. L'un d'entre eux, apprenant la mobilisation des élèves dans la basilique de Yamoussoukro, a regretté que le ministère n'ait pas été avisé de la manifestation.


Le collectif d'élèves affirme qu'une dizaine de personnes ont été blessées
durant l'évacuation de la basilique.



"Les uns et les autres se renvoient la balle depuis trois ans, ce n'est plus vivable"

Aminata (pseudo) a 32 ans. Elle fait partie de la promotion 2010 de l'Efap, spécialisation "foresterie". Elle a participé à la manifestation de Yamoussoukro dimanche.

"J'ai une maîtrise en espagnol, mais je ne trouvais pas de travail dans le domaine des langues. Depuis toute petite, je veux servir mon pays, je voulais porter la tenue d'officier pour le défendre. Mon ambition, c'était de travailler dans l'administration forestière ou au ministère de l'Environnement">Environnement. Mais depuis trois ans, je suis à la maison. Je pensais que cette situation allait s'arranger rapidement, mais aujourd'hui, je suis obligée de postuler à des métiers qui n'ont rien à voir avec ma qualification.

"Ma mère a sacrifié une partie de son salaire pour me permettre de vivre mon rêve"

J'ai intégré l'école en 2008. Elle coûte environ 1 million de francs CFA pour deux ans (soit environ 1 524 euros). Je suis d'une famille plutôt modeste, c'est ma mère qui a financé mes études bien qu'elle ne soit qu'une simple commerçante qui tient une supérette… elle a sacrifié une bonne partie du salaire familial pour que je puisse vivre mon rêve et faire la fierté de la famille.

Dans cette école, j'ai appris énormément : en première année, nous avons un tronc commun, des cours théoriques et pratiques concernant le maniement des armes, la balistique, mais aussi des cours de droit concernant des problématiques des eaux et forêts. Nous avons eu des sorties très formatrices notamment au parc national de Malahoué pour voir comment nos aînés travaillent. Ils nous ont montré ce à quoi la forêt est confrontée, aidé à reconnaître des actes de malveillance ou à repérer des campements illégaux à la base du braconnage de bois.

"Pas juste une formation où on apprend à manier une arme"

C'est un métier très technique en matière de connaissance de la forêt et de respect de l'environnement. On apprend par exemple en détail quels sont les codes en matière de reboisement et de protection de la faune et de la flore, ce n'est pas juste une formation où on apprend à manier une arme.

Cela fait bientôt deux ans qu'on passe par la voie des négociations, que nos représentants ont rencontré plusieurs ministres. On nous dit qu'on connaît notre situation, qu'une solution va être trouvée. On a même proposé que l'intégration se fasse en deux temps, avec 500 élèves de nos écoles et 500 anciens combattants, mais même cela n'a pas abouti."


Vidéo des cours prodigués dans les écoles, notamment à l'Efap de Bouaflé, l'école de notre Observatrice, où les élèves apprennent le maniement d'armes.


"Je crains que certains des élèves non affectés se tournent vers le banditisme"

La goutte qui a fait déborder le vase, c'est lorsque le ministre des Eaux et Forêts a déclaré à la télévision [le mardi 13 juillet] que nous étions formés pour 'le privé' et pour 'l'auto-emploi'. En Côte d'Ivoire, il existe très peu de sociétés privées qui emploient des forestiers, et qui plus est, le métier des eaux et forêts n'est pas un métier libéral. Cette déclaration voulait clairement dire qu'on nous avait abandonnés ! Les uns et les autres se renvoient la balle depuis trois ans, ce n'est plus vivable.

Réintégrer les ex-combattants est indispensable pour la reconstruction de notre pays. Mais je doute fortement que simplement deux mois [le temps de formation prévu lors du recrutement d'un agent] suffisent à leur apprendre ce que nous apprenons en deux ans. Je crains fortement que cette situation bloquée donnent envie à certains d'entre nous d'utiliser leurs acquis pour se tourneer vers le banditisme, car ils ont reçu une formation militaire et savent désormais manier des armes.


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