Immigration : Parti d'Abidjan, un jeune raconte son calvaire en Libye
« Comment j'ai été pris en otage et torturé par des trafiquants d'êtres humains »


Boukari Sawadogo : « Ma tête était mélangée, lorsqu'on m'a dit qu'un chauffeur de camion gagne 800.000 Fcfa, à chaque voyage , Photo C. A
  • Source: linfodrome.com
  • Date: mar. 14 mars 2017
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Chauffeur de camion de sable et occasionnellement de bagages à Abidjan, Boukari Sawadogo, un Burkinabé de 38 ans, né en Côte d'Ivoire, travaillait pour son patron, lorsque l'un de ses amis fraîchement revenu de la Libye, lui raconte comment l'argent coule à flots dans ce pays pétrolier.

Subjugué par ce qu'on venait de lui faire miroiter, il se plie en quatre, pour réunir rapidement les 400.000 Fcfa nécessaires pour se rendre dans cet ''eldorado'' où un camionneur pourrait gagner, à en croire son ami, jusqu'à 800.000 Fcfa, à chaque voyage.

 

800.000 F cfa par voyage pour un chauffeur

Amaigri et visiblement épuisé par le long voyage de retour en Côte d'Ivoire où il est arrivé dans la nuit du 1er au 2 mars 2017, Boukari Sawadogo était tout de même heureux de humer le vent de la liberté et de retrouver les siens. Il ne manquait pas d'humour, pour raconter sa mésaventure, malgré le traumatisme vécu en Libye. Boukari affirme qu'il a eu le tournis, lorsque son ami qui venait de rentrer de la Libye, lui a raconté comment les chauffeurs sont grassement payés au pays de Kadhafi : « Ma tête était mélangée tout d'un coup, quand il m'a dit l'argent que touche un chauffeur par voyage. Et quand je lui ai demandé pourquoi il n'est pas resté lui-même dans ce pays, il m'a fait savoir qu'il n'avait pas de permis de conduire et qu'il est venu le faire à Abidjan ».

Dès qu'il a réuni les 400.000F nécessaires pour le voyage en Libye, Boukari Sawadogo, sans perdre du temps, est allé remettre les clefs du camion à son patron qui ne comprenait pas la démission injustifiée de son employé. Désormais, l'obsession du jeune homme était d'atteindre ce ''paradis'' libyen nommé Sabha, ville de quelque 200.000 habitants, située à 660 km au sud de Tripoli. Le voyage en Libye a été un long périple pour Boukari qui a pris soin, avant son départ d'Abidjan, le 5 février 2016, de confier sa jeune femme et leur fillette de deux ans à ses parents, planteurs de cacao à Soubré, dans le sud-ouest de la Côte d'Ivoire.

La première étape de l'aventure était le Burkina Faso voisin. De là, il met le cap sur Agadez, la plus importante ville du nord du Niger, aux portes du Sahara. C'est à partir de cette ville, que sont organisés les convois d'immigrés vers la Libye. Tous les arrivants sont accueillis par des démarcheurs nigériens. De vrais arnaqueurs, affirme Boukari, qui promettent monts et merveilles aux candidats à l'aventure libyenne : « Leur bouche est tellement sucrée, que tu ne peux pas douter un seul instant de ce qu'ils disent. Ils nous ont promis que dès le lendemain de notre arrivée en Libye, nous allons commencer le boulot », raconte le jeune homme qui soutient que ces Nigériens sont en étroite complicité avec les chauffeurs des véhicules, des Libyens de peau foncée.

 

Conservez votre pipi au cas où...

C'est tard, vers 23 heures, que les convois de pick-up surchargés, se lancent dans le désert à travers les dunes de sable. Boukari explique que ces vieux routiers de chauffeurs dégonflent à moitié les pneus, afin de permettre une meilleure adhésion des roues aux pistes sablonneuses. Cette technique évite l'enlisement des véhicules dans les dunes. Pour avoir de la place dans ces véhicules tout-terrain dont la capacité ne devrait pas dépasser une quinzaine de passagers, chaque voyageur a déboursé 300.000 Fcfa.

Pour ce qu'il espérait gagner en Libye, à savoir 800.000 Fcfa pour un seul voyage, 300.000 Fcfa, ce n'est pas du tout cher payé, estime Boukari. Mais il déplore les conditions inhumaines du voyage : « On nous a entassés par 30, dans chaque véhicule, comme des moutons. Il y avaient des Nigériens, des Sénégalais, des Gambiens, des Burkinabé, des Maliens et bien sûr deux Ivoiriens. Chacun de nous avait acheté un bidon de 20 litres d'eau à 3000 F. Les convoyeurs nous ont prévenu d'économiser au maximum cette eau, car si elle finissait, nous serons obligés de boire notre pipi pour survivre » Comme provision, les voyageurs avaient acheté du ''gari'' (semoule de manioc), qu'ils délayaient dans de l'eau. Dans ces véhicules, la présence de pelles et de houes a fait penser à Boukari, que ces outils devraient servir en cas d'enlisement des véhicules. « Ce n'est pas à cette fin seulement !», lui fait comprendre un habitué de la route. Lorsque certains passagers vont mourir d'épuisement ou de malaise, ils serviront à creuser des tombes sommaires où leurs corps seront jetés.

Ce drame est effectivement survenu au cours du voyage : « Un de nos compagnons, un Gambien, a eu un malaise en chemin. On ne pouvait rien faire pour lui. Nous avons beau signaler au chauffeur que l'un de nous se sentait mal. Il ne s'en est même pas occupé, il fonçait seulement dans le désert. C'est quand nous lui avons dit qu'il est mort, qu'il s'est arrêté. Il nous a demandé de vite l'enterrer, car le chemin est encore long. Ce que nous avons fait rapidement, avant de poursuivre le voyage ». Dans un autre véhicule du convoi, il y a eu également un mort. Boukari se réjouit que leur voyage a été l'un des moins mortels, car il n'y avait eu que deux décès. Dans d'autres convois, nous apprend-il, on enregistre jusqu'à 10 décès, voire davantage, surtout lorsque des accidents surviennent. « Parfois, lorsque le chauffeur se rend compte que le véhicule n'a plus suffisamment de carburant pour faire le reste du trajet, ou bien s'il détecte une panne qui risque de compromettre le voyage, il vous demande de descendre, le temps d'aller chercher de l'aide. Dès que vous mettez les pieds à terre, il démarre en trombe pour retourner chez lui, vous laissant en plein désert, où vous allez mourir inévitablement de soif et de faim ».

C'est dans de telles circonstances, affirme Boukari, que certains voyageurs se rabattent sur leurs urines recueillies dans des sachets ou des bouteilles, pour humidifier leur gorge. Mais cette solution extrême, ne fait que retarder l'échéance de la mort, qui finit toujours par les faucher. Le jeune Burkinabé et ses compagnons n'ont pas eu de problème de déshydratation, car au mois de février, où ils ont effectué ce voyage, il faisait plutôt un froid glacial, tout aussi mortel que la chaleur. « Nous avons subi ce froid pendant les huit jours qu'a duré le trajet Agadez- Sabha en Libye. Nous aurons dû faire normalement 5 jours, mais notre véhicule est tombé en panne. Il a fallu trois jours pour le réparer. Nous dormions à la belle étoile, dans un froid insupportable ». Au bout d'une semaine, les candidats à l'''eldorado'' libyen sont arrivés à destination. Mais à leur grande surprise, le chauffeur leur signifie que le contrat qu'ils ont passé et dont l'objet était de les amener en Libye, arrivait ainsi à son terme. A eux de se débrouiller pour le reste.

 

Quand l'eldorado libyen vire au cauchemar

« Lorsque nous lui avons fait comprendre, qu'il était prévu qu'il nous trouve un logement, il nous invite alors à remonter dans le véhicule, pour nous conduire dans un foyer d'immigrés. C'est ainsi qu'il reprend la route et nous dépose devant un grand bâtiment protégé par une clôture dont les murs sont très hauts ». Boukari va se rendre compte, que cet endroit était plutôt un lieu de détention, pire, de séquestration. C'est une prison géante, où les voyageurs malchanceux sont pris en otage et parqués par 150, voire 200 dans des salles. « Nous venons ainsi d'être livrés à des trafiquants. Nous nous rendrons compte après, que ces derniers qui parlaient pour la plupart l'anglais, exceptés quelques uns qui s'exprimaient en français, étaient tous des Ghanéens. Ils font partie, avec les convoyeurs et chauffeurs qui ont organisé notre voyage en Libye, d'un réseau de trafiquants d'êtres humains ».

Boukari explique que ces Ghanéens dont les prisons qu'ils gèrent portent leurs noms, '' Nour ghetto'', ''Abdallah ghetto'' ou ''Koffi ghetto'', c'est dans cette dernière qu'il était incarcéré, sont en fait des sous-traitants de chefs de la mafia libyenne. « Après nous avoir enfermés, ces esclavagistes ghanéens nous demandent de payer des rançons, avant qu'ils ne nous libèrent. Or, durant le long trajet qui nous a conduits du Niger en Libye, nous avons été dépouillés jusqu'au dernier sou, par des hommes qui se faisaient passer pour des forces de l'ordre, tant du côté nigérien, que libyen. Moi, ils m'ont demandé de payer l'équivalent de 250.000F cfa, avant qu'ils ne me libèrent. Ce que je n'avais évidemment pas. Alors, ils se sont mis à me torturer, tout en faisant écouter mes cris à mes parents, qu'ils m'ont permis de joindre à Abidjan, à partir de leur téléphone. J'ai supplié mon frère de faire vite, de vendre tout ce qu'il pouvait, pour réunir cette somme, car s'il traînait, je risquais de connaître le même sort que certains qui étaient là avant nous et qui ont été tellement malmenés, qu'ils portaient de graves blessures : pieds et bras cassés, il y en avait même un, qui avait perdu un œil. C'est ainsi que l'argent leur a été envoyé. J'ai donc été libéré ».

Le jeune homme qui a passé au total une semaine dans cette prison, précise que la destination de la rançon payée par ses parents, n'était pas la Libye, mais plutôt le Ghana. C'est là-bas que l'argent est envoyé, avant qu'une partie ne soit reversée aux chefs libyens de cette mafia. Libéré avec deux autres compagnons d'aventure, Boukary ne savait où loger, en attendant de trouver du travail. Les trois rescapés finissent pas trouver un foyer d'immigrés africains. « Ma priorité était de trouver à manger, mais je n'avais plus d'argent. Il faut donc chercher un petit boulot. Fini, ce rêve de trouver un emploi de chauffeur, o&ugra (...)

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