Document / Justice internationale : Les secrets jamais livrés sur la CPI
Les vraies raisons des poursuites contre les Africains
Ce que gagne un juge à la Cour

  • Source: L'Inter
  • Date: mar. 02 fév. 2016
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Dans un dossier explosif publié sur son site, le confrère Radio-France-internationale (Rfi) remonte toute l'histoire de la Cour pénale internationale, ses objectifs, ses faiblesses et les affaires qu'elle traite depuis sa création.

La Cour pénale internationale nourrissait l'espoir d'un monde meilleur en mettant fin à l'impunité des criminels de masse. Elle fut créée par un traité signé à Rome en 1998, entre la fin de la guerre froide et les attentats du 11 septembre, dans le sillage du tribunal de Nuremberg, chargé de juger les chefs nazis après la Seconde Guerre mondiale, et sur les fondations des tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda établis par les Nations unies dans les années 1990. Mais, à ce jour, seuls 123 Etats adhèrent à ce traité, créant, de facto, une justice à deux vitesses. A ces limites légales se sont ajoutés des choix judiciaires frileux, guidés par des enjeux diplomatiques qui ont obscurci ses ambitions globales. Les auteurs de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre devaient craindre cette épée de Damoclès, mais seule une poignée de suspects est tombée dans les filets de la Cour. Un jeu d'équilibriste entre justice et politique, dans lequel ses acteurs n'ont pas, ou peut-être pas encore, su s'imposer. C'est « L'interprète », du réalisateur américain Sydney Pollack, qui consacre le mieux la puissance supposée de la Cour pénale internationale. Le film met en scène un dictateur entravé par le glaive de la justice internationale. Mais, la fiction dépasse largement la réalité d'une Cour condamnée de facto à exercer une justice à deux vitesses. Sa puissance ne s'exerce à ce jour qu'à l'encontre des ressortissants d'Etats qui ont ratifié son traité ou de ceux qui commettent des crimes sur le territoire de ces derniers. A moins que le Conseil de sécurité des Nations unies ne décide de la saisir. Même si trois des cinq membres permanents du Conseil ne reconnaissent pas la Cour, ils se sont tournés vers elle en 2005 pour les crimes du Darfour, puis six ans plus tard pour ceux commis pendant la révolution libyenne. Il fallait alors susciter des défections au sein du régime et préparer les opinions publiques à l'intervention militaire de l'Otan. Mais, à la chute de Mouammar Kadhafi, la Cour s'est retirée, sur la pointe des pieds. Les puissances alliées ne souhaitaient plus que les deux suspects du procureur, l'ancien chef des renseignements, Abdallah al-Senoussi, et le fils du Guide libyen, Saïf al-Islam Kadhafi, comparaissent un jour à La Haye

Les Américains s'opposent à la Cour, pour les mêmes raisons que Russes et Chinois : ne pas perdre un iota de souveraineté. Mais, Washington y fait néanmoins ses emplettes, coopérant lorsqu'elle cible des leaders ne figurant pas dans ses favoris, comme le président kényan Uhuru Kenyatta, et la menaçant, lorsque ses choix desservent, dit-elle, ''ses intérêts nationaux''. Il en est de même pour la Palestine, qui depuis le 1er avril 2015, la Palestine est accueillie à la Cour en tant qu'Etat et espère qu'elle pèsera dans ses négociations avec Israël. Mais, beaucoup doutent déjà de sa pérennité si elle devait demain ouvrir des enquêtes sur les crimes commis dans les territoires occupés. 

 

Des enquêtes dans 8 pays, tous africains 

La menace de la CPI est un Joker brandi ici ou là, au gré des intérêts des Etats. Membre ou non de la Cour, aucun ne s'oppose, sur le principe, à la poursuite des criminels de guerre. Mais, tous restent jaloux de leur souveraineté. Ceux qui ont adhéré à la Cour ont amendé leurs codes pénaux pour s'assurer qu'aucun de leur ressortissant n'atterrisse dans le box des accusés de la Cour de La Haye, car la Cour n'intervient qu'en dernier recours, si un Etat refuse de juger ceux qu'elle a ciblés. Ceux qui l'ont saisie, comme la République démocratique du Congo, l'Ouganda, la Centrafrique et la Côte d'Ivoire attendent qu'elle « élimine » leurs opposants, tout en engrangeant quelques gages de respectabilité, même si le jeu est risqué et l'effet boomerang jamais très loin. Depuis l'inculpation du président soudanais, puis celle du président kényan, l'Union africaine s'oppose frontalement à la Cour, lui reprochant d'être l'instrument d'un « néocolonialisme » judiciaire. En treize ans, à ce jour [28/01/2015, ndlr], pas une enquête n'a été ouverte hors du continent africain, même si le procureur a d'autres cibles dans son viseur comme l'Ukraine, la Colombie, la Palestine et même l'Afghanistan. Et alors que le Moyen-Orient s'enflamme, la Cour reste face à ses impuissances. Elle peine à s'engager dans le mortifère face-à-face sunno-chiite, ou à se pencher sur le jihadisme islamique qui s'étend en Afrique. Et son maigre bilan ne suscite guère les soutiens. Elle n'a inculpé qu'une trentaine de personnes en treize ans, et n'a bouclé que deux procès à l'encontre de trois miliciens congolais. Le tableau de chasse du procureur compte plusieurs chefs d'Etat, quelques ministres et une flopée de miliciens. Si ces choix ressemblent parfois à une véritable loterie, tirer le ticket perdant n'est pas vraiment un hasard. Ceux qui sont ciblés par la Cour ont laissé derrière eux les traces de leurs crimes, devenues les pièces à conviction sans lesquelles aucun procureur ne pourrait conduire leur procès. A celles-ci s'ajoutent leur opposition à la paix, telle qu'espérée ou conclue par les vainqueurs. Jusqu'ici, le procureur a ciblé en priorité des opposants locaux et des protagonistes gênants sur l'échiquier mondial. Dans des conflits où les morts et les rescapés s'alignent par milliers voire millions, les tueurs sont légion. Si le procureur de la CPI tente de poursuivre les plus hauts responsables qui ont planifié et ordonné les crimes, il doit parfois se rabattre sur les seconds couteaux, d'autant que sans force de police, la Cour dépend de la coopération des Etats pour enquêter et arrêter les suspects. Depuis sa création en 2002, le procureur a ouvert des enquêtes dans huit pays, tous africains. En République démocratique du Congo (RDC), malgré dix années d'investigation, seuls des chefs de milice ont été poursuivis. Et la Cour a cantonné les conflits de l'Est congolais à leur seule dimension ethnique, épargnant de facto les puissances régionales impliquées, le Rwanda, l'Ouganda et la RDC

 

Laurent Gbagbo et le ticket perdant

Parmi les plus hauts responsables congolais, seul Jean-Pierre Bemba a été poursuivi. De fait, la Cour a placé hors-jeu le principal opposant au président Joseph Kabila, mais sans toutefois l'inquiéter, car le procès Bemba ne révélera rien des implications régionales : il ne traite pas du Congo, mais de la Centrafrique. En 2002 et 2003, Jean-Pierre Bemba avait envoyé ses miliciens soutenir le régime vacillant du président centrafricain Ange-Félix Patassé. Le leader congolais reste néanmoins le seul protagoniste de ce conflit aux acteurs multiples à répondre de ces crimes devant la Cour. Et ceux qui ont échappé à son couperet se sont de nouveau illustrés lors de la guerre de 2013. En Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo a tiré le ticket perdant au terme d'une élection contestée, soldée dans la violence. Le chef d'Etat ivoirien s'opposait à la sortie de crise décidée par la communauté internationale, dont au premier chef, la France. Si l'accusation assure enquêter sur les crimes commis par les troupes de son rival et successeur, Alassane Ouattara, la justice de La Haye a encore, quatre ans après le début des enquêtes, tous les attributs d'une justice de vainqueurs. 

Au Kenya, ce sont les vainqueurs de la dernière présidentielle, Uhuru Kenyatta et William Ruto, qui ont été ciblés par la Cour alors que débutait leur campagne électorale. Le troisième candidat, Raila Odinga, sur lequel misaient les diplomaties occidentales pour prendre la tête du pays, n'a en revanche jamais été inquiété. Enfin, c'est le Conseil de sécurité des Nations unies qui a saisi la Cour sur les crimes commis au Darfour et en Libye. Mais le Soudanais Omar el-Béchir n'a jamais été arrêté. Et si en Libye, les cinq grands espéraient susciter des redditions au sein du régime libyen, à la chute de Kadhafi, la Cour devenait inutile, voire gênante. Et pas un seul Libyen n'a comparu devant ses juges. C'était le 18 décembre 2012. Solennel, le juge français Bruno Cotte délivrait son verdict contre Mathieu Ngudjolo. « Déclarer un accusé non coupable ne veut pas dire que la Chambre déclare son innocence », prévenait-il. Ce jour-là, le milicien congolais était acquitté faute de preuves solides. Ces preuves, le procureur a toutes les peines du monde à les récolter. Et outre cet acquittement, sur les trente-et-un suspects ciblés publiquement par l'accusation depuis 2003, six s'en sont sortis par un non-lieu. C'est dans le nord de l'Ouganda et dans l'est du Congo-Kinshasa que les premières enquêtes de la Cour ont débuté. Les deux territoires sont alors instables, et le procureur veut limiter les risques encourus par ses enquêteurs et ses témoins. L'essentiel de ses investigations est basé sur les témoignages, par nature fragiles et jugés bien insuffisants par les juges, qui réclament aussi des pièces et des expertises médico-légales. Pour limiter les risques au maximum, le procureur Luis Moreno Ocampo choisit alors d'enquêter par procuration. Au Congo, il s'appuie donc sur un réseau d'intermédiaires, dont certains flairent ici l'occasion d'améliorer rapidement leur ordinaire. Au final, les avocats de Thomas Lubanga débusqueront un véritable réseau de faux témoins, sans parvenir toutefois à éviter la condamnation de leur client. En Libye comme au Congo, le procureur a aussi délégué ses investigations et jusqu'à la chute de Kadhafi, aucun enquêteur n'a posé le pied sur le sol libyen. Pour nourrir ses dossiers et délivrer trois mandats d'arrêt, il s'est largement appuyé, sans doute trop, sur les opposants au régime d'alors, le Conseil national de transition

 

Tout sur Fatou Bensouda

Sans force de police, le procureur doit compter sur la coopération des Etats pour conduire ses enquêtes, mais cette stratégie fragilise considérablement son indépendance. Et cette coopération lui fait parfois cruellement défaut comme au Darfour. Le régime soudanais a claqué la porte aux enquêteurs de la Cour suite à l'inculpation du président Omar el-Béchir et le procureur a dû recueillir ses témoignages auprès de réfugiés et d'organisations internationales. Pendant près d'un an, la Côte d'Ivoire a coopéré sans faiblir avec la Cour, livrant à La Haye Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Mais, alors que le procureur souhaite s'attaquer aux crimes commis par les partisans de l'actuel président Alassane Ouattara, Abidjan refuse de livrer Simone Gbagbo, arguant que la justice ivoirienne est désormais de nouveau sur pied, et capable de juger l'ex-Première dame. Une façon de dire à la Cour que si les partisans du régime étaient un jour ciblés, ils ne seraient pas plus du ressort de La Haye. Au cours des trois premières années de son mandat, la nouvelle procureure, Fatou Bensouda, a tenté de réformer sa stratégie d'enquête. Fatou Bensouda a succédé à l'Argentin Luis Moreno Ocampo en mai 2012. En élisant une magistrate gambienne, certains Etats membres espéraient apaiser le continent africain dont les élites sont engagées dans une âpre bataille contre la Cour. Ancienne ministre de la Justice de Gambie, Fatou Bensouda a fait ses classes dans la justice internationale au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), basé à Arusha, en Tanzanie, au côté de Stephen Rapp, devenu plus tard ambassadeur américain pour les crimes de guerre. En 2004, elle avait rejoint la Cour pénale internationale pour seconder son premier procureur, Luis Moreno Ocampo. Elu en 2012, son adjoint, le procureur canadien James Stewart, est lui aussi issu de la promotion Arusha. Ils portent des robes noires et plaident des causes jugées indéfendables. Les avocats de la CPI conseillent chefs d'Etat, miliciens et politiciens, poursuivis pour des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre commis à des milliers de kilomètres de le (...)



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