Interview - Fraude et tricherie à l'examen scolaire / Gogan Kouamé : « L'opération hibou n'a pas disparu » - Candidats, parents et autorités, tous mouillés


Gogan Kouamé lutte efficacement contre la fraude.
  • Source: Soir Info
  • Date: sam. 06 juin 2015
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Gogan Kouamé, professeur au collège d'enseignement technique d'Agboville est le secrétaire général de l'Ong Pédagogie assistance contribution (Pac) en action. Depuis plus de dix ans, il participe à l'organisation des examens et est souvent membre de secrétariat. Il parle ici de son Ong, des stratégies de fraude, et de la tricherie en milieu scolaire.

Vous avez créé l'Ong Pac en action en 2006, pour former les enseignants et lutter contre la fraude et la tricherie en milieu scolaire. Qu'entendez-vous par fraude et tricherie ?

Fraude et tricherie sont des mots pratiquement proches. La tricherie, c'est lorsqu'un élève jette un coup d'oeil sur la copie de son camarade ou a les épreuves avant le jour J. La fraude, c'est un peu plus organisé. C'est lorsque des personnes, aussi bien en interne qu'en externe, ont les épreuves avant, les traitent et les mettent à la disposition des candidats, ou alors, utilisent des méthodes pour permettre au candidat d'être admis, sans être méritant. Généralement, c'est accompagné d'une compensation financière.

 

Avez-vous identifié des réseaux? 

Nous en connaissons. Cela passe par l'opération hibou que tout le monde connaît, et les rackettages systématiques.

 

Qu'est-ce que vous appelez « opération hibou »?

Pour des membres du secrétariat, par exemple, l'opération consiste à autoriser que des personnes composent, en dehors des heures normales de composition. On appelle cela « opération hibou » parce que, généralement, ça se passe la nuit.

 

En avez-vous déjà été témoin ?

Oui. Cela remonte à 2002. J'étais dans un secrétariat du Bac à Abidjan. C'est vrai que j'en entendais parler. Mais, c'est là que j'ai suivi, pour la première fois, le déroulement de l'opération. De façon générale, des membres du secrétariat organisent une réunion pour voir comment les choses doivent se passer de connivence avec les chefs d'établissement qui voudraient avoir un score élevé au niveau des résultats.

 

Comment l'opération s'est-elle passée concrètement?

Ceux qui ont donné l'argent se sont retrouvés pour recomposer l'épreuve de la journée. On a enlevé les copies de la journée pour les remplacer par celles de la nuit, avec souvent le corrigé à l'appui.

 

C'était à quelle heure ?

Généralement, ce genre d'opération se passe après les épreuves, dans la nuit. Lorsque tous les enfants sont rentrés, ceux qui sont concernés par l'opération restent sur place. Dans le cas d'espèce, ils étaient une dizaine. Je vous assure qu'en tant que membre du secrétariat, j'avais réuni tous les documents parce que ces personnes avaient les convocations photocopiées mises à part. Etant membre du secrétariat, tout le monde savait que je n'étais pas d'accord avec ça. J'ai été ignoré royalement et on me confiait les tâches de seconde zone. Par exemple, si on doit déposer des brouillons dans une salle, on m'y envoie. Cette nuit-là, on m'avait demandé de traiter toute la liste des absents parce que chaque soir, on fait le point des absents. J'étais assis dans le secrétariat pendant que ça se passait dans l'une des salles.

 

Avez-vous dénoncé ces fraudeurs ?

Non, parce que notre Ong est là pour sensibiliser. A l'oral d'Anglais, par exemple, on s'est rendu compte qu'un élève qui était bien, pouvait échouer simplement parce qu'il refuse de payer. Comme sanction, on lui donnait 10 alors qu'il méritait 14 ou 16 sur 20.

 

Sont-ce les enseignants qui demandent de l'argent ? 

Oui. Il y a des enseignants qui ont franchi le cap de la timidité, et qui demandent directement de l'argent aux candidats. Quand le candidat arrive, par exemple, on lui demande dans quelle équipe il joue. Si c'est Liverpool, c'est dire que vous devez donner un billet rouge. Si c'est Chelsea, vous donnez un billet bleu. Ce sont des expressions qu'ils emploient. Des enseignants font directement la proposition. Mais, il y a aussi que des candidats font des propositions.

 

En quoi faisant ?

Ils disent, par exemple, « moi, je ne suis pas fort en Anglais, si vous pouvez m'aider, on va voir si on peut payer votre bière après ». Si la réaction du professeur l'encourage à continuer, il continue. Si la réaction le dissuade, il arrête. A l'oral d'Anglais du Bts, j'étais membre du jury. Une candidate est arrivée. J'étais interrogateur. Je lui ai demandé de tirer. Elle a pris un texte qu'elle est allée préparer. J'ai demandé ses pièces d'identité et elle a sorti son passeport. A l'intérieur, il y avait un billet de 5 mille francs Cfa. Je l'ai tout de suite refermé et je lui ai remis son passeport. Elle m'a dit : « monsieur, c'est pour vous, c'est pour votre bière ». Je lui ai demandé si elle pense que je coûte 5 mille francs Cfa. Et qu'est-ce qui prouvait que son niveau d'Anglais ne pouvait pas lui permettre d'avoir la moyenne. Elle m'a dit avoir prévu cela parce que des collègues demandent. Je lui ai dit qu'il fallait attendre que je sois demandeur d'abord. Elle a présenté ses excuses. Elle était tremblante. Je l'ai rassurée en Français en lui disant que l'incident ne va pas influer sur sa note, avant de commencer.

 

Avait-elle quelque chose dans la tête ?

Non. En général, quand des gens ont quelque chose dans la tête, ils ne font pas ce genre de geste un peu arrogant. Je lui ai demandé de lire le texte. Elle avait des difficultés pour le faire, et c'est là que nous nous sommes arrêtés. Par expérience, il est toujours bon d'aider un candidat à sortir toujours gai de la salle. Si un candidat sort de la salle en larmes, cela va briser l'élan des autres. Je lui ai posé des questions du genre « what's your name ?», « where do you come from ? ». Même là encore, c'était difficile. J'ai cherché un moyen de lui faire dire quelque chose en Anglais pour qu'elle sorte avec un petit sourire. C'est ce qui a été fait. Elle est partie et je lui ai donné sa note.

 

Quelle note lui avez-vous attribuée ?

Ce qui est sûr, elle n'a pas eu la moyenne. Quoiqu'on dise, nous sommes des humains et nous disons, voici quelqu'un qui a fait 9 mois, et que l'Anglais peut ne pas être sa tasse de thé. Je me dis qu'il ne faut pas que je lui donne une note éliminatoire, par exemple. En réalité, c'est ce qu'elle méritait. Mais il faut dire qu'au niveau des Ecrits, beaucoup de choses se passent également.

 

Lesquelles, par exemple ?

Il y a une candidate qui était venue nous dire au secrétariat, que le surveillant leur a demandé de cotiser, et elle n'était pas d'accord. On était en T-shirt. Nous avons interpellé le collègue. En tout cas, en étant au secrétariat, on s'est arrangé pour qu'il ne surveille plus.

 

Si vous n'aviez pas voulu vous faire complice, pourquoi ne l'aviez-vous pas mis à la disposition de la Police ?

Notre Ong, je le répète, a été créée pour sensibiliser.

 

N'y a-t-il pas d'autres procédés que les élèves utilisent pour tricher? 

Il y a deux situations qui se présentent. Soit le surveillant est large, et dans cette condition, c'est plutôt les membres du secrétariat qu'il surveille ou alors, il le fait moyennant de l'argent. Il peut arriver que des membres du secrétariat fassent partie du jeu. Ce qui veut dire que des membres du secrétariat, soit tous, soit quelques uns rédigent les épreuves, font les photocopies et les distribuent aux élèves qui auront cotisé. Il y a également que des candidats laissent des affaires dans les toilettes et y vont de temps en temps.

 

En avez-vous été témoin?

Bien sûr . C'était, il y a quelques années, lorsque j'étais au lycée professionnel de Yopougon. Mais dans ces cas, c'est plus facile à gérer que la fraude qui est un système. Quand le secrétariat est organisé, on met un surveillant vers les toilettes. Si on prend un candidat, on fait un rapport. A la fin des examens, on siège. Il faut dire que ce n'est pas tous les cas de tricherie qui vont au secrétariat. C'est le cas, par exemple, d'un candidat surpris en train de regarder un document. On le lui arrache tout simplement. On déchire la copie et on lui en donne une autre. Le surveillant peut estimer que l'acte n' entache pas la crédibilité du diplôme qui lui sera délivré, s'il est admis.

 

Est-ce pas plus compliqué surveiller des candidates?

Il y a des candidates qui écrivent sur leur cuisse. Ce sont des choses qui existent. Une fille a beau écrire sur ses cuisses, si le surveillant qui est là, c'est vrai qu'il ne peut pas soulever sa jupe pour regarder, ne prête pas le flanc, ça ne va pas marcher. C'est vrai qu'elle veut tricher mais elle pense aussi à son avenir.

 

Des candidates ne font-elles pas des yeux doux aux surveillants ou interrogateurs ?

Si. Ça existe mais ça ne prend que les enseignants stupides. Parce qu'un enseignant qui est normal doit savoir que lorsqu'une femme est dans une situation comme celle là, elle est capable de faire n'importe quelle promesse qu'elle ne tiendra même pas. Elle est consciente que la note que vous allez lui attribuer, expire dans l'après-midi. Si elle vous donne rendez-vous pour la nuit, elle sait que vous aurez déjà déposé la note. Si dans ce laps de temps, elle peut vous démontrer qu'elle est amoureuse, et que cela peut vous prendre, c'est que vous êtes idiot. Mais ce genre de cas est de moins en moins nombreux. Lorsque le surveillant arrive dans une salle, il doit savoir que les candidats sont prêts à le sonder.

 

Comment le savez-vous ?

On le sait de par les causeries qu'ils initient du genre « monsieur, c'est comment, vous allez bien ? ». Vous sentez qu'ils veulent alors lier amitié avec vous. Si vous rentrez dans le jeu, ils font tout ce qu'ils ont prévu. Mais si vous restez rigide en répondant « bonjour, vous allez bien ?» et que vous vous asseyez et ouvrez un document ou un journal, et que vous vous mettez à le lire, que vous ne parlez à personne, et que lorsque les épreuves arrivent, vous demandez de ranger les affaires, ils restent à leur place. Ils comprennent alors que vous n'êtes pas leur ami mais que vous êtes là, juste pour les surveiller. Et comme ils ne savent pas comment vous allez réagir si vous les surprenez en train de tricher, ils restent alors tranquilles. Un après-midi, un candidat au Bac a dit, dès que je me dirigeais vers sa salle, « ça a été difficile, ce matin ». J'ai demandé si ce sont les épreuves. Il a dit que ce sont les surveillants qui étaient trop rigoureux, qu'ils ne les laissaient pas « sciencer » (faire ce qu'ils veulent). Il m'a promis qu' « on peut vous gérer » si je les laisse tricher, parce qu'ils vont se cotiser pour moi.

 

Qu'avez-vous fait ?

Je lui ai demandé combien ils étaient dans la salle. Il a dit qu'ils étaient trente. J'ai demandé de donner 5 mille francs Cfa chacun. Il a dit (...)

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