Vente du pétrole ivoirien : Hamed Bakayoko cité dans une affaire de corruption par Médiapart - La réaction du ministre à l'article de Médiapart


Hamed Bakayoko, ministre ivoirien de l'Intérieur et de la Sécurité. (Photo d'archives)
  • Source: Linfodrome.com
  • Date: mer. 12 nov. 2014
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Co-fondé par un proche de Vladimir Poutine, le groupe de négoce pétrolier, déjà passé à deux doigts des sanctions américaines, doit aujourd'hui affronter un scandale de corruption en Côte d'Ivoire. Mediapart a eu accès à plusieurs documents retraçant un accord pétrolier entaché d'irrégularités conclu via le ministre de l'intérieur ivoirien. Il a déjà causé la démission d'un administrateur du groupe.

En mars dernier, le groupe Gunvor, le géant du négoce pétrolier dont le siège est à Genève, a échappé de très peu au couperet américain. Un jour avant de se retrouver sur la liste des sanctions américaines, son co-fondateur, le milliardaire russo-finlandais Guennadi Timtchenko, un intime de Vladimir Poutine, a réussi une prouesse : il a annoncé avoir vendu sa participation (43,9 %) à son associé finlandais Torbjorn Tornqvist désormais officiellement seul maître à bord avec 83 % des parts du groupe.


Depuis, Gunvor affirme ne souffrir en rien des restrictions américaines et dit parfaitement gérer « le temps de l'après-Timtchenko ». Grâce à une stratégie de diversification, le groupe se félicite d'avoir réduit sa dépendance vis-à-vis de la Russie, puisque moins de 20 % des flux totaux de produits pétroliers proviennent de ce pays, contre la quasi-totalité il y a encore dix ans.


Malgré ces assurances, de gros nuages s'amoncellent au-dessus de la tête du groupe. Mercredi 5 novembre, le Wall Street Journal a révélé que Guennadi Timtchenko était visé par une enquête pour blanchiment d'argent aux États-Unis. Les procureurs du ministère de la justice et de l'État de New York veulent savoir si le milliardaire a transféré des fonds liés à des affaires de corruption en Russie, via le système financier américain, et ce avant les sanctions. Ils s'intéressent en particulier à des opérations d'achat de brut de Gunvor après du géant Rosneft, et à la manière dont ce pétrole aurait ensuite été revendu à des tiers. Le quotidien ne donne cependant pas plus de détails. Gunvor a réagi, disant ne pas être informé de cette procédure. « La compagnie est prise entre deux feux pour des motifs politiques. Nous ne pouvons faire aucun commentaire sur une quelconque enquête visant M. Timtchenko », explique un communiqué.


Or comme l'a appris Mediapart, une autre affaire tout aussi embarrassante et qui n'a aucun arrière-plan politique agite également le siège de Gunvor. Selon nos informations, voilà plusieurs semaines que la direction tremble à l'idée de voir exploser au grand jour un scandale de corruption lié à l'achat de pétrole brut en Côte d'Ivoire. Encore et toujours l'Afrique ! En 2012 déjà, Gunvor s'était retrouvé englué dans une affaire présumée de pot-de-vin liée à un marché au Congo-Brazzaville. Le négociant avait alors tout fait pour charger l'un de ses employés, déposant une plainte contre lui. Cette procédure qui ressemble à une diversion doit être classée, alors que l'enquête ouverte "contre inconnu" pour faits de blanchiment, est toujours instruite à Berne par le ministère public de la confédération helvétique.


Le deal ivoirien qui pose maintenant problème remonte à mars 2014 et il n'est pas encore arrivé entre les mains de la justice. Selon plusieurs sources, il aurait été entaché de graves irrégularités, aboutissant même à la démission mi-septembre d'un membre du conseil d'administration de Gunvor. Mediapart a pu consulter plusieurs documents qui permettent de retracer sa chronologie.


Après l'ouverture de l'enquête suisse sur le Congo-Brazzaville, Gunvor en disgrâce auprès du clan des Sassou N'Guesso est à la recherche de nouveaux débouchés en Afrique. La société se tourne alors vers Abidjan. Des liens avaient déjà été noués du temps de Laurent Gbagbo, puis Gunvor avait habilement retourné sa veste en volant au secours de son opposant Alassane Ouattara. En avril 2011 alors que les combats faisaient rage, la société avait enlevé 1,6 million de barils de brut, permettant ainsi au nouveau président de démarrer son mandat avec une première rentrée d'argent. La collaboration avec le nouveau pouvoir ne s'était cependant pas poursuivie.


Pour reconquérir le marché ivoirien, Gunvor a fait appel en 2013 à un intermédiaire français. Ce dernier fait valoir des contacts, notamment auprès du ministre de l'intérieur ivoirien Hamed Bakayoko, un homme clé du régime Ouattara et un personnage haut en couleur.


Gunvor va pouvoir ouvrir des négociations avec la Petroci (Société nationale d'exploration pétrolière de la Côte d'Ivoire) pour enlever une cargaison de brut, comme le montrent plusieurs documents. Y participent directement plusieurs membres du conseil d'administration de Gunvor SA, dont le responsable du département développement dans le monde, ainsi que son supérieur qui s'occupe du pétrole brut dans le monde entier. Le grand patron, Torbjorn Tornqvist, est lui-même au courant des différentes démarches.


Le pétrole ivoirien a ceci d'attractif : si la production est maigre, les conditions de vente sont très intéressantes, permettant de réaliser une marge d'environ 3 dollars par baril (contre 20 à 30 cents en moyenne), avec tout l'arrière-plan de corruption que cela peut supposer. Une délégation de Gunvor se rend en juin 2013 à Abidjan. Le négociant se dit prêt à participer à des projets de développement de l'industrie pétrolière avec la Petroci et évoque la possibilité d'un « partenariat stratégique » avec la Côte d'Ivoire. Son principal interlocuteur est alors le fameux Hamed Bakayoko, ministre de l'intérieur et de la sécurité, dont le domaine d'action n'a pourtant officiellement rien à voir avec le pétrole. Une lettre de remerciement sur papier en-tête de Gunvor lui est envoyée en septembre 2013 (lire ce document sous l'onglet Prolonger de cet article).


Fin 2013, Gunvor remporte finalement un « appel d'offres » auprès de la Petroci pour acheter 650 000 barils de brut provenant du champ pétrolier Espoir. La valeur du cargo atteint quelque 70 millions de dollars, avec un bénéfice pour le négociant de près d'un million de dollars. La marchandise est enlevée aux alentours du 10 mars 2014, sans encombre.


Un étrange contrat d'intermédiaire


C'est à partir de ce moment que se met en place une bien étrange opération, pilotée par le service genevois de compliance (conformité juridique) et le bureau de Gunvor à Dubaï, et attentivement suivie par plusieurs cadres de Gunvor SA à Genève, comme le prouvent plusieurs documents consultés par Mediapart.

Que se passe-t-il exactement ? Il est décidé que Gunvor Dubaï signera un contrat de serviceservice agreement ») avec une obscure petite société basée à Abidjan nommée Petro-consulting. Officiellement, il s'agit de rémunérer son directeur pour les services qu'il est supposé avoir rendus pour faciliter le deal pétrolier. La chronologie est surprenante puisqu'en principe, ce genre de contrat d'intermédiaire ou d'apporteur d'affaires est rédigé et pré-signé avant la concrétisation de l'opération pétrolière. Ici, tout a été fait après coup.

Or comme l'a appris Mediapart, le directeur de Petro-consulting vit au Mozambique et n'a jamais fourni aucun travail. C'est un partenaire de l'intermédiaire français et il a juste accepté de jouer l'homme de paille pour réceptionner des fonds. Certains documents montrent comment une employée du bureau compliance à Genève l'a guidé pas à pas, dès le 1er avril (soit vingt jours après que Gunvor a levé le brut), pour qu'il rédige en bonne et due forme le « service agreement ».

Le 14 et le 28 avril 2014, plus de 400 000 dollars sont versés sur les comptes de la Petro-consulting à Abidjan. Selon nos informations, la BNP Paribas aurait refusé d'effectuer la transaction estimant que les garanties de transparence n'étaient pas suffisantes. Une banque moyen-orientale aurait finalement accepté. Plusieurs sources indiquent que l'argent a ensuite été reversé ailleurs, atterrissant in fine dans la poche d'un officiel ivoirien.

Tout aurait pu en rester là et ne jamais apparaître au grand jour. Mais cet été, des preuves ont commencé à fuiter dans certains milieux du pétrole. C'est alors la panique au siège de Gunvor à Genève qui croit revivre l'épisode de l'été 2012 quand le ministère public de la confédération avait perquisitionné les locaux sur le dossier Congo-Brazzaville. Celui qui s'est le plus exposé dans l'opération ivoirienne, le directeur du bureau pour le développement, est invité à quitter le navire. À la mi-septembre, ce cadre signe sa lettre de démission avec un salaire payé jusqu'en décembre 2014.


Au registre du commerce, son nom a effectivement été rayé du conseil d'administration de Gunvor SA. Certaines sources indiquent qu'il aurait touché, en échange de son accord pour jouer les fusibles, une très grosse somme. Joint par Mediapart, il réfute ces informations affirmant avoir démissionné en « raison de désaccords professionnels » et avoir désormais « tourné la page », estimant qu'il revient à la direction de Gunvor de répondre aux questions sur le deal ivoirien.


Les ponts ont aussi été rompus avec le Français qui avait joué les intermédiaires auprès du ministre Bakayoko et qui a été pour cela rémunéré par Gunvor. Toute perspective de transaction avec la Côte d'Ivoire a été abandonnée et le négociant a décidé de quitter le marché africain, décidément trop compliqué et dangereux.


Contacté par Mediapart, un membre de la direction de Gunvor à Genève confirme l'achat de 650 000 barils de brut ivoirien en mars 2014, se défendant de toutes malversations. Il affirme que le directeur de Petro-consulting à Abidjan n'est pas un homme de paille et qu'il a fait, dès novembre 2012, l'objet d'un examen scrupuleux de la part du service de compliance, et même d'une enquête de Salamanca Group, une société d'intelligence économique. Le CV de cet ancien d'Elf Aquitaine aurait été jugé parfaitement sérieux.


Pourquoi alors avoir signé un « service agreement » après l'enlèvement du cargo, en violation flagrante de ce qui se fait habituellement ? « Probablement nous n'avons pas eu le temps et il y avait alors d'autres choses à faire », répond Gunvor. Quant au Français qui a joué les apporteurs d'affaires en Côte d'Ivoire, son contrat de consultant aurait été résilié au 30 janvier 2013 « car il n'avait pas passé le test de compliance », affirme Gunvor. Or plusieurs documents consultés par Mediapart montrent que cet intermédiaire a continué à travailler jusqu'en 2014.


En août dernier dans l'Agefi, le directeur de la communication de Gunvor se félicitait des bonnes pratiques du groupe en matière de conformité juridique. Il expliquait que Gunvor « comme toutes les multinationales » suivait une « politique stricte du KYC(Know Your Customer - Connais ton client) ».


Banques françaises


La tortueuse affaire ivoirienne arrive au pire moment. Depuis quelques mois, Gunvor est sous la loupe, contraint plus que n'importe quelle autre société à montrer patte blanche auprès des banques pour obtenir des financements. La manière dont Guennadi Timtchenko a précipitamment vendu ses parts à son associé Torbjorn Tornqvist soulève toujours des questions. Les banques partenaires se sont vu remettre un certificat de transferts d'actions, mais personne n'a pu consulter le contrat signé entre les deux hommes. Il s'agit d'un deal privé, auquel Gunvor n'a lui-même pas accès, a appris Mediapart.


Beaucoup s'interrogent sur la capacité de celui que l'on surnomme « TT » (Torbjorn Tornqvist) à sortir de sa poche plus d'un milliard de dollars pour payer son ancien associé russe. Certains estiment que tant que Timtchenko n'aura pas récupéré sa mise, il restera intéressé à la bonne marche de Gunvor.


Face à ces zones d'ombre, de nombreuses banques américaines et européennes ont pris leurs distances. La Société générale et le Crédit agricole à Genève, qui sont pourtant sous enquête américaine pour violation d'embargo économique (avec le risque d'écoper d'une gigantesque amende comme la BNP Paribas), continuent pourtant à financer certaines opérations du négociant, au risque d'être rattrapés par le gendarme américain.


Au sein de Gunvor, les grandes manœuvres ont commencé. Selon le Financial Times, le groupe cherche aujourd'hui à céder certains de ses actifs russes dont son terminal de produits pétroliers Oust-Luga sur la mer Baltique qui pourrait être racheté par Rosneft. SelonReuters, le groupe est sur le point de conclure un accord pour la vente de ses parts dans Kolmar, le géant du charbon russe.

 

AGATHE DUPARC

Source : MEDIAPART

 

RÉACTION D'HAMED BAKAYOKO À L'ARTICLE DE MÉDIAPART

"Lors d'une réunion a Paris, j'ai accordé une audience au groupe Gunvor, qui m'a fait part de son intérêt d'investir en Côte d'Ivoire. Je l'ai rassuré sur le net progrès de l'environnement sécuritaire et l'ai encouragé à le faire. J'ai à nouveau reçu une délégation de ce groupe, cette fois, à Abidjan, lors de l'un de ses passages en Côte d'Ivoire
Mon contact avec ce groupe se limite à ses deux rencontres, qui ne sont que des rencontres classiques dans le cadre du travail du Gouvernement. Je m'étonne qu'une lettre de remerciement fasse l'objet d'interprétations tendancieuses. 
Pour être clair, je n'ai perçu aucune rémunération d'aucune sorte du groupe Gunvor. Personne ne peut et ne pourra établir le contraire. Le Gouvernement est engagé dans la mise en oeuvre des principes de bonne gouvernance. J'en fais une valeur essentielle dans la conduite de mon travail."




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